Phèdre (Jean RACINE)
Tragédie en cinq actes, en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 1er janvier 1677.
Personnages
THÉSÉE, fils d’Égée, roi d’Athènes
PHÈDRE, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé
HIPPOLYTE, fils de Thésée, et d’Antiope, reine des Amazones
ARICIE, princesse du sang royal d’Athènes
ŒNONE, nourrice et confidente de Phèdre
THÉRAMÈNE, gouverneur d’Hippolyte
ISMÈNE, confidente d’Aricie
PANOPE, femme de la suite de Phèdre
GARDES
La scène est à Trézène, ville du Péloponnèse[1].
PRÉFACE
Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide. Quoique j’aie suivi une route un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de l’action, je n’ai pas laissé d’enrichir ma pièce de tout ce qui m’a paru plus éclatant[2] dans la sienne. Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j’ai peut-être mis de plus raisonnable sur le théâtre. Je ne suis point étonné que ce caractère ait eu un succès si heureux du temps d’Euripide, et qu’il ait encore si bien réussi dans notre siècle, puisqu’il a toutes les qualités qu’Aristote demande dans le héros de la tragédie, et qui sont propres à exciter la compassion et la terreur[3]. En effet, Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente. Elle est engagée par sa destinée, et par la colère des Dieux, dans une passion illégitime, dont elle a horreur toute la première. Elle fait tous ses efforts pour la surmonter. Elle aime mieux se laisser mourir que de la déclarer à personne. Et lorsqu’elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des Dieux qu’un mouvement de sa volonté.
J’ai même pris soin de la rendre un peu moins odieuse qu’elle n’est dans les tragédies des anciens, où elle se résout d’elle-même à accuser Hippolyte. J’ai cru que la calomnie avait quelque chose de trop bas et de trop noir pour la mettre dans la bouche d’une princesse qui a d’ailleurs des sentiments si nobles et si vertueux. Cette bassesse m’a paru plus convenable à une nourrice, qui pouvait avoir des inclinations plus serviles[4], et qui néanmoins n’entreprend cette fausse accusation que pour sauver la vie et l’honneur de sa maîtresse. Phèdre n’y donne les mains que parce qu’elle est dans une agitation d’esprit qui la met hors d’elle-même, et elle vient un moment après dans le dessein de justifier l’innocence et de déclarer la vérité.
Hippolyte est accusé, dans Euripide et dans Sénèque, d’avoir en effet violé sa belle-mère : Vim corpus tulit[5]. Mais il n’est ici accusé que d’en avoir eu le dessein. J’ai voulu épargner à Thésée une confusion qui l’aurait pu rendre moins agréable aux spectateurs.
Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, j’avais remarqué dans les anciens qu’on reprochait à Euripide de l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié[6]. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait un peu coupable envers son père, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle faiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père.
Cette Aricie n’est point un personnage de mon invention. Virgile dit qu’Hippolyte l’épousa, et en eut un fils, après qu’Esculape l’eut ressuscité[7]. Et j’ai lu encore dans quelques auteurs[8] qu’Hippolyte avait épousé et emmené en Italie une jeune Athénienne de grande naissance, qui s’appelait Aricie, et qui avait donné son nom à une petite ville d’Italie.
Je rapporte ces autorités, parce que je me suis très scrupuleusement attaché à suivre la fable. J’ai même suivi l’histoire de Thésée, telle qu’elle est dans Plutarque.
C’est dans cet historien que j’ai trouvé que ce qui avait donné occasion de croire que Thésée fût descendu dans les enfers pour enlever Proserpine, était un voyage que ce prince avait fait en Épire vers la source de l’Achéron, chez un roi dont Pirithoüs voulait enlever la femme, et qui arrêta Thésée prisonnier, après avoir fait mourir Pirithoüs[9]. Ainsi j’ai tâché de conserver la vraisemblance de l’histoire, sans rien perdre des ornements de la fable, qui fournit extrêmement à la poésie. Et le bruit de la mort de Thésée, fondé sur ce voyage fabuleux, donne lieu à Phèdre de faire une déclaration d’amour qui devient une des principales causes de son malheur, et qu’elle n’aurait jamais osé faire tant qu’elle aurait cru que son mari était vivant.
Au reste, je n’ose encore assurer que cette pièce soit en effet la meilleure de mes tragédies. Je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix. Ce que je puis assurer, c’est que je n’en ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies. La seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même. Les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que
pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. C’est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer ; et c’est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose. Leur théâtre était une école où la vertu n’était pas moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Aussi Aristote a bien voulu donner des règles du poème dramatique ; et Socrate, le plus sage des philosophes, ne dédaignait pas de mettre la main aux tragédies d’Euripide[10]. Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d’utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes, célèbres par leur piété et par leur doctrine, qui l’ont condamnée dans ces derniers temps[11], et qui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateurs qu’à les divertir, et s’ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie.
ACTE I
Scène première
HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE
HIPPOLYTE.
Le dessein en est pris : je pars, cher Théramène,
Et quitte le séjour de l’aimable Trézène.
Dans le doute mortel dont je suis agité,
Je commence à rougir de mon oisiveté.
Depuis plus de six mois éloigné de mon père,
J’ignore le destin d’une tête si chère ;
J’ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent cacher.
THÉRAMÈNE.
Et dans quels lieux, Seigneur, l’allez-vous donc chercher ?
Déjà, pour satisfaire à votre juste crainte,
J’ai couru les deux mers que sépare Corinthe ;
J’ai demandé Thésée aux peuples de ces bords
Où l’on voit l’Achéron[12] se perdre chez les morts ;
J’ai visité l’Élide, et laissant le Ténare,
Passé jusqu’à la mer qui vit tomber Icare[13].
Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous découvrir la trace de ses pas ?
Qui sait même, qui sait si le Roi votre père
Veut que de son absence on sache le mystère ?
Et si, lorsqu’avec vous nous tremblons pour ses jours,
Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,
Ce héros n’attend point qu’une amante abusée…
HIPPOLYTE.
Cher Théramène, arrête, et respecte Thésée.
De ses jeunes erreurs désormais revenu,
Par un indigne obstacle il n’est point retenu ;
Et fixant de ses vœux l’inconstance fatale,
Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.
Enfin en le cherchant je suivrai mon devoir,
Et je fuirai ces lieux que je n’ose plus voir.
THÉRAMÈNE.
Hé ! depuis quand, Seigneur, craignez-vous la présence[14]
De ces paisibles lieux, si chers à votre enfance,
Et dont je vous ai vu préférer le séjour
Au tumulte pompeux d’Athène et de la cour[15] ?
Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ?
HIPPOLYTE.
Cet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face,
Depuis que sur ces bords les Dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé.
THÉRAMÈNE.
J’entends : de vos douleurs la cause m’est connue.
Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Dangereuse marâtre, à peine elle vous vit,
Que votre exil d’abord signala son crédit.
Mais sa haine sur vous autrefois attachée,
Ou s’est évanouie, ou s’est bien relâchée.
Et d’ailleurs quels périls vous peut faire courir[16]
Une femme mourante et qui cherche à mourir ?
Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire,
Lasse enfin d’elle-même et du jour qui l’éclairé,
Peut-elle contre vous former quelques desseins ?
HIPPOLYTE.
Sa vaine inimitié n’est pas ce que je crains.
Hippolyte en partant fuit une autre ennemie :
Je fuis, je l’avouerai, cette jeune Aricie,
Reste d’un sang fatal conjuré contre nous.
THÉRAMÈNE.
Quoi ? vous-même, Seigneur, la persécutez-vous ?
Jamais l’aimable sœur des cruels Pallantides[17]
Trempa-t-elle aux complots de ses frères perfides ?
Et devez-vous haïr ses innocents appas ?
HIPPOLYTE.
Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.
THÉRAMÈNE.
Seigneur, m’est-il permis d’expliquer votre fuite ?
Pourriez-vous n’être plus ce superbe Hippolyte
Implacable ennemi des amoureuses lois,
Et d’un joug que Thésée a subi tant de fois ?
Vénus, par votre orgueil si longtemps méprisée.
Voudrait-elle à la fin justifier Thésée ?
Et vous mettant au rang du reste des mortels,
Vous a-t-elle forcé d’encenser ses autels ?
Aimeriez-vous, Seigneur ?
HIPPOLYTE.
Ami, qu’oses-tu dire ?
Toi, qui comtois mon cœur depuis que je respire,
Des sentiments d’un cœur si fier, si dédaigneux,
Peux-tu me demander le désaveu honteux ?
C’est peu qu’avec son lait une mère amazone[18]
M’ait fait sucer encor cet orgueil qui t’étonne ;
Dans un âge plus mur moi-même parvenu,
Je me suis applaudi quand je me suis connu.
Attaché près de moi par un zèle sincère.
Tu me contais alors l’histoire de mon père.
Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix.
S’échauffait au récit de ses nobles exploits.
Quand tu me dépeignais ce héros intrépide
Consolant les mortels de l’absence et Alcide,
Les monstres étouffés et les brigands punis,
Procruste, Cercyon, et Scirron, et Sinnis,
Et les os dispersés du géant d’Épidaure,
Et la Crète fumant du sang du Minotaure[19].
Mais quand tu récitais des faits moins glorieux,
Sa foi partout offerte et reçue en cent lieux ;
Hélène à ses parents dans Sparte dérobée[20] ;
Salamine témoin des pleurs de Péribée[21] ;
Tant d’autres, dont les noms lui sont même échappés,
Trop crédules esprits que sa flamme a trompés :
Ariane aux rochers contant ses injustices[22],
Phèdre enlevée enfin sous de meilleurs auspices ;
Tu sais comme à regret écoutant ce discours,
Je te pressais souvent d’en abréger le cours[23],
Heureux si j’avais pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d’une si belle histoire.
Et moi-même, à mon tour, je me verrais lié ?
Et les Dieux jusque-là m’auraient humilié ?
Dans mes lâches soupirs d’autant plus méprisable[24],
Qu’un long amas d’honneurs rend Thésée excusable,
Qu’aucuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui
Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui.
Quand même ma fierté pourrait s’être adoucie,
Aurais-je pour vainqueur dit choisir Aricie[25] ?
Ne souviendrait-il plus à mes sens égarés
De l’obstacle éternel qui nous a séparés ?
Mon père la réprouve ; et par des lois sévères
Il défend de donner des neveux à ses frères :
D’une tige coupable il craint un rejeton ;
Il veut avec leur sœur ensevelir leur nom,
Et que jusqu’au tombeau soumise à sa tutelle,
Jamais les feux d’hymen ne s’allument pour elle.
Dois-je épouser ses droits contre un père irrité ?
Donnerai-je l’exemple à la témérité ?
Et dans un fol amour ma jeunesse embarquée...
THÉRAMÈNE.
Ah ! Seigneur, si votre heure est une fois marquée,
Le ciel de nos raisons ne sait point s’informer.
Thésée ouvre vos yeux[26] en voulant les fermer ;
Et sa haine, irritant une flamme rebelle,
Prête à son ennemie une grâce nouvelle.
Enfin d’un chaste amour pourquoi vous effrayer ?
S’il a quelque douceur, n’osez-vous l’essayer ?
En croirez-vous toujours un farouche scrupule ?
Craint-on de s’égarer sur les traces d’Hercule ?
Quels courages Vénus n’a-t-elle pas domptés ?
Vous-même, où seriez-vous, vous qui la combattez,
Si toujours Antiope à ses lois opposée,
D’une pudique ardeur n’eut brûlé pour Thésée[27] ?
Mais que sert d’affecter un superbe discours ?
Avouez-le, tout change ; et depuis quelques jours
On vous voit moins souvent, orgueilleux et sauvage,
Tantôt faire voler un char sur le rivage,
Tantôt, savant dans l’art par Neptune inventé,
Rendre docile au frein un coursier indompté.
Les forêts de nos cris moins souvent retentissent ;
Chargés d’un feu secret, vos yeux s’appesantissent.
Il n’en faut point douter : vous aimez, vous brûlez ;
Vous périssez d’un mal que vous dissimulez.
La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire ?
HIPPOLYTE.
Théramène, je pars, et vais chercher mon père.
THÉRAMÈNE.
Ne verrez-vous point Phèdre avant que de partir,
Seigneur ?
HIPPOLYTE.
C’est mon dessein : tu peux l’en avertir.
Voyons-la, puisqu’ainsi mon devoir me l’ordonne.
Mais quel nouveau malheur trouble sa chère Œnone ?
Scène II
HIPPOLYTE, ŒNONE, THÉRAMÈNE
ŒNONE.
Hélas ! Seigneur, quel trouble au mien peut être égal ?
La Reine touche presque à son terme fatal.
En vain à l’observer jour et nuit je m’attache :
Elle meurt dans mes bras d’un mal qu’elle me cache[28].
Un désordre éternel règne dans son esprit.
Son chagrin inquiet l’arrache de son lit.
Elle veut voir le jour ; et sa douleur profonde
M’ordonne toutefois d’écarter tout le monde...
Elle vient.
HIPPOLYTE.
Il suffit : je la laisse en ces lieux,
Et ne lui montre point un visage odieux.
Scène III
PHÈDRE, ŒNONE
PHÈDRE.
N’allons point plus avant. Demeurons, chère Œnone.
Je ne me soutiens plus : ma force m’abandonne[29].
Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,
Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas !
Elle s’assit[30].
ŒNONE.
Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous apaisent.
PHÈDRE.
Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent[31] !
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ?
Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire.
ŒNONE.
Comme on voit tous ses vœux l’un l’autre se détruire !
Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains ;
Vous-même, rappelant votre force première,
Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière.
Vous la voyez, Madame ; et prête à vous cacher,
Vous haïssez le jour que vous veniez chercher[32] ?
PHÈDRE.
Noble et brillant auteur d’une triste famille,
Toi, dont ma mère osait se vanter d’être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois.
ŒNONE.
Quoi ? vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,
Faire de votre mort les funestes apprêts ?
PHÈDRE.
Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,
Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière[33] ?
ŒNONE.
Quoi, Madame ?
PHÈDRE.
Insensée, où suis-je ? et qu’ai-je dit ?
Où laissé-je égarer mes vœux et mon esprit ?
Je l’ai perdu : les Dieux m’en ont ravi l’usage.
Œnone, la rougeur me couvre le visage :
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs ;
Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs[34].
ŒNONE.
Ah ! s’il vous faut rougir, rougissez, d’un silence
Qui de vos maux encore aigrit la violence.
Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,
Voulez-vous sans pitié laisser finir vos jours ?
Quelle fureur les borne au milieu de leur course ?
Quel charme ou quel poison en a tari la source ?
Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
Depuis que le sommeil n’est entré dans vos veux,
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que votre corps languit sans nourriture[35].
À quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ?
De quel droit sur vous-même osez-vous attenter ?
Vous offensez les Dieux auteurs de votre vie ;
Vous trahissez l’époux à qui la foi vous lie ;
Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que vous précipitez sous un joug rigoureux.
Songez qu’un même jour leur ravira leur mère,
Et rendra l’espérance au fils de l’étrangère,
À ce fier ennemi de vous, de votre sang,
Ce fils qu’une Amazone a porté dans son flanc,
Cet Hippolyte...
PHÈDRE.
Ah, Dieux !
ŒNONE.
Ce reproche vous touche.
PHÈDRE.
Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche ?
ŒNONE.
Hé bien ! votre colère éclate avec raison :
J’aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez donc. Que l’amour, le devoir vous excite[36].
Vivez, ne souffrez pas que le fils d’une Scythe[37],
Accablant vos enfants d’un empire odieux
Commande au plus beau sang de la Grèce et des Dieux.
Mais ne différez point : chaque moment vous tue.
Réparez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours, prêts à se consumer,
Le flambeau dure encore, et peut se rallumer.
PHÈDRE.
J’en ai trop prolongé la coupable durée.
ŒNONE.
Quoi ? de quelques remords êtes-vous déchirée ?
Quel crime a pu produire un trouble si pressant ?
Vos mains n’ont point trempé dans le sang innocent ?
PHÈDRE.
Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.
Plût aux Dieux que mon cœur fût innocent comme elles[38] !
ŒNONE.
Et quel affreux projet avez-vous enfanté
Dont votre cœur encor doive être épouvanté ?
PHÈDRE.
Je t’en ai dit assez. Épargne-moi le reste.
Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.
ŒNONE.
Mourez donc, et gardez un silence inhumain ;
Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.
Quoiqu’il vous reste à peine une faible lumière,
Mon âme chez les morts descendra la première.
Mille chemins ouverts y conduisent toujours[39],
Et ma juste douleur choisira les plus courts.
Cruelle, quand ma foi vous a-t-elle déçue ?
Songez-vous qu’en naissant mes bras vous ont reçue ?
Mon pays, mes enfants, pour vous j’ai tout quitté.
Réserviez-vous ce prix à ma fidélité ?
PHÈDRE.
Quel fruit espères-tu de tant de violence ?
Tu frémiras d’horreur si je romps le silence.
ŒNONE.
Et que me direz-vous qui ne cède, grands Dieux !
À l’horreur de vous voir expirer à mes yeux[40] ?
PHÈDRE.
Quand tu sauras mon crime, et Le sort qui m’accable,
Je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable.
ŒNONE.
Madame, au nom des pleurs que pour vous j’ai versés,
Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez mon esprit de ce funeste doute.
PHÈDRE.
Tu le veux. Lève-toi.
ŒNONE.
Parlez, je vous écoute[41].
PHÈDRE.
Ciel ! que lui vais-je dire, et par où commencer ?
ŒNONE.
Par de vaines frayeurs cessez de m’offenser.
PHÈDRE.
Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !
Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !
ŒNONE.
Oublions-les, Madame ; et qu’à tout l’avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.
PHÈDRE.
Ariane, ma sœur, de quel amour blessée,
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée[42] !
ŒNONE.
Que faites-vous, Madame ? et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?
PHÈDRE.
Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable[43].
ŒNONE.
Aimez-vous ?
PHÈDRE.
De l’amour j’ai toutes les fureurs.
ŒNONE.
Pour qui ?
PHÈDRE.
Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J’aime... À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime...
ŒNONE.
Qui ?
PHÈDRE.
Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé ?
ŒNONE.
Hippolyte ? Grands Dieux !
PHÈDRE.
C’est toi qui l’as nommé[44].
ŒNONE.
Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace.
Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux[45] ?
PHÈDRE.
Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
Athènes me montra mon superbe ennemi[46].
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler ;[47]
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables[48].
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner[49] ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D’un incurable amour remèdes impuissants[50] !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,
J’adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,
Même au pied[51] des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, Œnone ; et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence[52].
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus toute entière[53] à sa proie attachée[54].
J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;
J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;
Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les approches,
Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler[55].
Scène IV
PHÈDRE, ŒNONE, PANOPE
PANOPE.
Je voudrais vous cacher une triste nouvelle,
Madame ; mais il faut que je vous la révèle.
La mort vous a ravi votre invincible époux ;
Et ce malheur n’est plus ignoré que de vous.
ŒNONE.
Panope, que dis-tu ?
PANOPE.
Que la Reine abusée
En vain demande au ciel le retour de Thésée ;
Et que par des vaisseaux arrivés dans le port
Hippolyte son fils vient d’apprendre sa mort.
PHÈDRE.
Ciel !
PANOPE.
Pour le choix d’un maître Athènes se partage.
Au Prince votre fils l’un donne son suffrage,
Madame ; et de l’État l’autre oubliant les lois,
Au fils de l’étrangère ose donner sa voix.
On dit même qu’au trône une brigue insolente
Veut placer Aricie et le sang de Pallante.
J’ai cru de ce péril vous devoir avertir.
Déjà même Hippolyte est tout prêt à partir ;
Et l’on craint, s’il paraît dans ce nouvel orage,
Qu’il n’entraîne après lui tout un peuple volage.
ŒNONE.
Panope, c’est assez. La Reine, qui t’entend,
Ne négligera point cet avis important.
Scène V
PHÈDRE, ŒNONE
ŒNONE.
Madame, je cessais de vous presser de vivre ;
Déjà même au tombeau je songeais à vous suivre ;
Pour vous en détourner je n’avais plus de voix ;
Mais ce nouveau malheur vous prescrit d’autres lois.
Votre fortune change et prend une autre face[56] :
Le Roi n’est plus, Madame[57] ; il faut prendre sa place.
Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez,
Esclave s’il vous perd, et roi si vous vivez.
Sur qui, dans son malheur, voulez-vous qu’il s’appuie ?
Ses larmes n’auront plus de main qui les essuie ;
Et ses cris innocents, portés jusques aux Dieux,
Iront contre sa mère irriter ses aïeux.
Vivez, vous n’avez plus de reproche à vous faire :
Votre flamme devient une flamme ordinaire.
Thésée en expirant vient de rompre les nœuds
Qui faisaient tout le crime et l’horreur de vos feux[58].
Hippolyte pour vous devient moins redoutable ;
Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable.
Peut-être convaincu de votre aversion,
Il va donner un chef à la sédition.
Détrompez son erreur, fléchissez son courage.
Roi de ces bords heureux, Trézène est son partage ;
Mais il sait que les lois donnent à votre fils
Les superbes remparts que Minerve a bâtis.
Vous avez l’un et l’autre une juste ennemie :
Unissez-vous tous deux pour combattre Aricie.
PHÈDRE.
Hé bien ! à tes conseils je me laisse entraîner.
Vivons, si vers la vie on peut me ramener,
Et si l’amour d’un fils en ce moment funeste
De mes faibles esprits peut ranimer le reste.
ACTE II
Scène première
ARICIE, ISMÈNE
ARICIE.
Hippolyte demande à me voir en ce lieu ?
Hippolyte me cherche, et veut me dire adieu ?
Ismène, dis-tu vrai ? N’es-tu point abusée ?
ISMÈNE.
C’est le premier effet de la mort de Thésée.
Préparez-vous, Madame, à voir de tous côtés
Voler vers vous les cœurs par Thésée écartés.
Aricie à la fin de son sort est maîtresse,
Et bientôt à ses pieds verra toute la Grèce.
ARICIE.
Ce n’est donc point, Ismène, un bruit mal affermi ?
Je cesse d’être esclave, et n’ai plus d’ennemi ?
ISMÈNE.
Non, Madame, les Dieux ne vous sont plus contraires;;
Et Thésée a rejoint les mânes de vos frères.
ARICIE.
Dit-on quelle aventure a terminé ses jours ?
ISMÈNE.
On sème de sa mort d’incroyables discours.
On dit que, ravisseur d’une amante nouvelle,
Les flots ont englouti cet époux infidèle.
On dit même, et ce bruit est partout répandu,
Qu’avec Pirithoüs aux enfers descendu[59],
Il a vu le Cocyte et les rivages sombres,
Et s’est montré vivant aux infernales ombres ;
Mais qu’il n’a pu sortir de ce triste séjour,
Et repasser les bords qu’on passe sans retour[60].
ARICIE.
Croirai-je qu’un mortel, avant sa dernière heure,
Peut pénétrer des morts la profonde demeure ?
Quel charme l’attirait sur ces bords redoutés ?
ISMÈNE.
Thésée est mort, Madame, et vous seule en doutez :
Athènes en gémit, Trézène en est instruite,
Et déjà pour son roi reconnaît Hippolyte.
Phèdre, dans ce palais, tremblante pour son fils,
De ses amis troublés demande les avis.
ARICIE.
Et tu crois que pour moi plus humain que son père,
Hippolyte rendra ma chaîne plus légère ?
Qu’il plaindra mes malheurs ?
ISMÈNE.
Madame, je le croi.
ARICIE.
L’insensible Hippolyte est-il connu de toi ?
Sur quel frivole espoir penses-tu qu’il me plaigne,
Et respecte en moi seule un sexe qu’il dédaigne ?
Tu vois depuis quel temps il évite nos pas,
Et cherche tous les lieux où nous ne sommes pas.
ISMÈNE.
Mais j’ai vu près de vous ce superbe Hippolyte ;
Et même, en le voyant, le bruit de sa fierté
A redoublé pour lui ma curiosité.
Sa présence à ce bruit n’a point paru répondre :
Dès vos premiers regards je l’ai vu se confondre.
Ses yeux, qui vainement voulaient vous éviter,
Déjà pleins de langueur, ne pouvaient vous quitter.
Le nom d’amant peut-être offense son courage ;
Mais il en a les yeux, s’il n’en a le langage.
ARICIE.
Que mon cœur, chère Ismène, écoute avidement
Un discours qui peut-être a peu de fondement !
Ô toi qui me connais, te semblait-il croyable
Que le triste jouet d’un sort impitoyable,
Un cœur toujours nourri d’amertume et de pleurs,
Dût connaître l’amour et ses folles douleurs ?
Reste du sang d’un roi noble fils de la terre[61],
Je suis seule échappée aux fureurs de la guerre.
J’ai perdu, dans la fleur de leur jeune saison,
Six frères[62], quel espoir d’une illustre maison !
Le fer moissonna tout ; et la terre humectée
But à regret le sang des neveux d’Érechthée.
Tu sais, depuis leur mort, quelle sévère loi
Défend à tous les Grecs de soupirer pour moi :
On craint que de la sœur les flammes téméraires
Ne raniment un jour la cendre de ses frères.
Mais tu sais bien aussi de quel œil dédaigneux
Je regardais ce soin d’un vainqueur soupçonneux.
Tu sais que de tout temps à l’amour opposée,
Je rendais souvent grâce à l’injuste Thésée,
Dont l’heureuse rigueur secondait mes mépris.
Mes yeux alors, mes yeux n’avaient pas vu son fils.
Non que par les yeux seuls lâchement enchantée,
J’aime en lui sa beauté, sa grâce tant vantée,
Présents dont la nature a voulu l’honorer,
Qu’il méprise lui-même, et qu’il semble ignorer.
J’aime, je prise en lui de plus nobles richesses,
Les vertus de son père, et non point les faiblesses.
J’aime, je l’avouerai, cet orgueil généreux
Qui jamais n’a fléchi sous le joug amoureux.
Phèdre en vain s’honorait des soupirs de Thésée :
Pour moi, je suis plus fière, et fuis la gloire aisée
D’arracher un hommage à mille autres offert,
Et d’entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.
Mais de faire fléchir un courage inflexible,
De porter la douleur dans une âme insensible,
D’enchaîner un captif de ses fers étonné,
Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné :
C’est là ce que je veux, c’est là ce qui m’irrite.
Hercule à désarmer coûtait moins qu’Hippolyte ;
Et vaincu plus souvent, et plus tôt surmonté,
Préparait moins de gloire aux yeux qui l’ont dompté.
Mais, chère Ismène, hélas ! quelle est mon imprudence !
On ne m’opposera que trop de résistance.
Tu m’entendras peut-être, humble dans mon ennui,
Gémir du même orgueil que j’admire aujourd’hui.
Hippolyte aimerait ? Par quel bonheur extrême
Aurais-je pu fléchir...
ISMÈNE.
Vous l’entendrez lui-même :
Il vient à vous.
Scène II
HIPPOLYTE, ARICIE, ISMÈNE
HIPPOLYTE.
Madame, avant que de partir,
J’ai cru de votre sort vous devoir avertir.
Mon père ne vit plus. Ma juste défiance
Présageait les raisons de sa trop longue absence :
La mort seule, bornant ses travaux éclatants,
Pouvait à l’univers le cacher si longtemps.
Les Dieux livrent enfin à la parque homicide
L’ami, le compagnon, le successeur d’Alcide.
Je crois que votre haine, épargnant ses vertus,
Écoute sans regret ces noms qui lui sont dus.
Un espoir adoucit ma tristesse mortelle :
Je puis vous affranchir d’une austère tutelle.
Je révoque des lois dont j’ai plaint la rigueur[63].
Vous pouvez disposer de vous, de votre cœur ;
Et dans cette Trézène, aujourd’hui mon partage,
De mon aïeul Pitthée autrefois l’héritage[64],
Qui m’a, sans balancer, reconnu pour son roi[65],
Je vous laisse aussi libre, et plus libre que moi.
ARICIE.
Modérez des bontés dont l’excès m’embarrasse.
D’un soin si généreux honorer ma disgrâce,
Seigneur, c’est me ranger, plus que vous ne pensez,
Sous ces austères lois dont vous me dispensez.
HIPPOLYTE.
Du choix d’un successeur Athènes incertaine,
Parle de vous, me nomme, et le fils de la Reine.
ARICIE.
De moi, Seigneur ?
HIPPOLYTE.
Je sais, sans vouloir me flatter,
Qu’une superbe loi semble me rejeter.
La Grèce me reproche une mère étrangère[66].
Mais si pour concurrent je n’avais que mon frère,
Madame, j’ai sur lui de véritables droits
Que je saurais sauver du caprice des lois.
Un frein plus légitime arrête mon audace :
Je vous cède, ou plutôt je vous rends une place,
Un sceptre que jadis vos aïeux ont reçu
De ce fameux mortel que la terre a conçu[67].
L’adoption le mit entre les mains d’Égée[68].
Athènes, par mon père accrue et protégée,
Reconnut avec joie un roi si généreux,
Et laissa dans l’oubli vos frères malheureux.
Athènes dans ses murs maintenant vous rappelle.
Assez elle a gémi dune longue querelle ;
Assez dans ses sillons votre sang englouti
A fait fumer le champ dont il était sorti.
Trézène m’obéit. Les campagnes de Crète
Offrent au fils de Phèdre une riche retraite.
L’Attique est votre bien. Je pars, et vais pour vous
Réunir tous les vœux partagés entre nous.
ARICIE.
De tout ce que j’entends étonnée et confuse,
Je crains presque, je crains qu’un songe ne m’abuse.
Veillé-je ? Puis-je croire un semblable dessein ?
Quel Dieu, Seigneur, quel Dieu l’a mis dans votre sein ?
Qu’à bon droit votre gloire en tous lieux est semée !
Et que la vérité passe la renommée !
Vous-même, en ma faveur, vous voulez vous trahir ?
N’était-ce pas assez de ne me point haïr,
Et d’avoir si longtemps pu défendre votre âme
De cette inimitié...
HIPPOLYTE.
Moi, vous haïr, Madame ?
Avec quelques couleurs qu’on ait peint ma fierté,
Croit-on que dans ses flancs un monstre m’ait porté ?
Quelles sauvages mœurs, quelle haine endurcie
Pourrait, en vous voyant, n’être point adoucie ?
Ai-je pu résister au charme décevant...
ARICIE.
Quoi ? Seigneur.
HIPPOLYTE.
Je me suis engagé trop avant.
Je vois que la raison cède à la violence.
Puisque j’ai commencé de rompre le silence,
Madame, il faut poursuivre : il faut vous informer
D’un secret que mon cœur ne peut plus renfermer.
Vous voyez devant vous un prince déplorable,
D’un téméraire orgueil exemple mémorable.
Moi qui contre l’amour fièrement révolté,
Aux fers de ses captifs ai longtemps insulté ;
Qui des faibles mortels déplorant les naufrages,
Pensais toujours du bord contempler les orages[69] ;
Asservi maintenant sous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi !
Un moment a vaincu mon audace imprudente :
Cette âme si superbe est enfin dépendante.
Depuis près de six mois, honteux, désespéré,
Portant partout le trait dont je suis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je m’éprouve :
Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve ;
Dans le fond des forêts votre image me suit ;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j’évite ;
Tout vous livre à l’envi le rebelle Hippolyte.
Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune ;
Je ne me souviens plus des leçons de Neptune ;
Mes seuls gémissements font retentir les bois,
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.
Peut-être le récit d’un amour si sauvage
Vous fait, en m’écoutant, rougir de votre ouvrage.
D’un cœur qui s’offre à vous quel farouche entretien !
Quel étrange captif pour un si beau lien !
Mais l’offrande à vos yeux en doit être plus chère.
Songez que je vous parle une langue étrangère ;
Et ne rejetez pas des vœux mal exprimés,
Qu’Hippolyte sans vous n’aurait jamais formés.
Scène III
HIPPOLYTE, ARICIE, THÉRAMÈNE, ISMÈNE
THÉRAMÈNE.
Seigneur, la Reine vient, et je l’ai devancée.
Elle vous cherche.
HIPPOLYTE.
Moi ?
THÉRAMÈNE.
J’ignore sa pensée.
Mais on vous est venu demander de sa part.
Phèdre veut vous parler avant votre départ.
HIPPOLYTE.
Phèdre ? Que lui dirai-je ? Et que peut-elle attendre...
ARICIE.
Seigneur, vous ne pouvez refuser de l’entendre.
Quoique trop convaincu de son inimitié,
Vous devez à ses pleurs quelque ombre de pitié.
HIPPOLYTE.
Cependant vous sortez. Et je pars. Et j’ignore
Si je n’offense point les charmes que j’adore !
J’ignore si ce cœur que je laisse en vos mains...
ARICIE.
Partez, Prince, et suivez vos généreux desseins.
Rendez de mon pouvoir Athènes tributaire.
J’accepte tous les dons que vous me voulez faire.
Mais cet empire enfin si grand, si glorieux,
N’est pas de vos présents le plus cher à mes yeux.
Scène IV
HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE
HIPPOLYTE.
Ami, tout est-il prêt ? Mais la Reine s’avance.
Va, que pour le départ tout s’arme en diligence.
Fais donner le signal, cours, ordonne, et revien
Me délivrer bientôt d’un fâcheux entretien.
Scène V[70]
PHÈDRE, HIPPOLYTE, ŒNONE
PHÈDRE, à Œnone[71].
Le voici. Vers mon cœur tout mon sang se retire.
J’oublie, en le voyant, ce que je viens[72] lui dire.
ŒNONE.
Souvenez-vous d’un fils qui n’espère qu’en vous.
PHÈDRE.
On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous,
Seigneur. À vos douleurs je viens joindre mes larmes.
Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.
Mon fils n’a plus de père ; et le jour n’est pas loin
Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.
Déjà mille ennemis attaquent son enfance.
Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense.
Mais un secret remords agite mes esprits.
Je crains d’avoir fermé votre oreille à ses cris.
Je tremble que sur lui votre juste colère
Ne poursuive bientôt une odieuse mère.
HIPPOLYTE.
Madame, je n’ai point des sentiments si bas.
PHÈDRE.
Quand vous me haïriez, je ne m’en plaindrais pas,
Seigneur. Vous m’avez vue attachée à vous nuire ;
Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire.
À votre inimitié j’ai pris soin de m’offrir.
Aux bords que j’habitais je n’ai pu vous souffrir.
En public, en secret contre vous déclarée,
J’ai voulu par des mers en être séparée ;
J’ai même défendu, par une expresse loi,
Qu’on osât prononcer votre nom devant moi.
Si pourtant à l’offense on mesure la peine,
Si la haine peut seule attirer votre haine,
Jamais femme ne fut plus digne de pitié,
Et moins digne, Seigneur, de votre inimitié.
HIPPOLYTE.
Des droits de ses enfants une mère jalouse
Pardonne rarement au fils d’une autre épouse.
Madame, je le sais. Les soupçons importuns
Sont d’un second hymen les fruits les plus communs.
Toute autre[73] aurait pour moi pris les mêmes ombrages,
Et j’en aurais peut-être essuyé plus d’outrages.
PHÈDRE.
Ah ! Seigneur, que le ciel, j’ose ici l’attester,
De cette loi commune a voulu m’excepter !
Qu’un soin bien différent me trouble et me dévore !
HIPPOLYTE.
Madame, il n’est pas temps de vous troubler encore.
Peut-être votre époux voit encore le jour ;
Le ciel peut à nos pleurs accorder son retour.
Neptune le protège, et ce dieu tutélaire
Ne sera pas en vain imploré par mon père.
PHÈDRE.
On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur. Puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu’un dieu vous le renvoie ;
Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie[74].
Que dis-je ? Il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux.
Je le vois, je lui parle ; et mon cœur... Je m’égare,
Seigneur[75], ma folle ardeur malgré moi se déclare.
HIPPOLYTE.
Je vois de votre amour l’effet prodigieux.
Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux ;
Toujours de son amour votre âme est embrasée[76].
PHÈDRE.
Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée.
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage,
Cette noble pudeur colorait son visage
Lorsque de notre Crète il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos[77],
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi, sans Hippolyte,
Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait péri le monstre de la Crète,
Malgré tous les détours de sa vaste retraite.
Pour en développer l’embarras incertain,
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main[78].
Mais non, dans ce dessein je l’aurais devancée :
L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.
C’est moi, Prince, c’est moi dont l’utile secours
Vous eût du Labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante !
Un fil n’eût point assez rassuré votre amante.
Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ;
Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue.
HIPPOLYTE.
Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?
PHÈDRE.
Et sur quoi jugez-vous que j’en perds la mémoire,
Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ?
HIPPOLYTE.
Madame, pardonnez. J’avoue, en rougissant,
Que j’accusais à tort un discours innocent.
Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ;
Et je vais...
PHÈDRE.
Ah ! cruel, tu m’as trop entendue.
Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.
Hé bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur.
J’aime. Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison[79].
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les Dieux m’en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d’une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;
J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;
Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J’ai langui, j’ai séché, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr.
Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime !
Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même.
Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour.
Digne fils du héros qui t’a donné le jour,
Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper.
Voilà mon cœur. C’est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d’expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.
Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m’envie un supplice si doux,
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée.
Donne[80].
ŒNONE.
Que faites-vous, Madame ? Justes Dieux !
Mais on vient. Évitez, des témoins odieux ;
Venez, rentrez, fuyez une honte certaine.
Scène VI
HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE
THÉRAMÈNE.
Est-ce Phèdre qui fuit, ou plutôt qu’on entraîne ?
Pourquoi, Seigneur, pourquoi ces marques de douleur ?
Je vous vois sans épée, interdit, sans couleur ?
HIPPOLYTE.
Théramène, fuyons. Ma surprise est extrême.
Je ne puis sans horreur me regarder moi-même.
Phèdre... Mais non, grands Dieux ! qu’en un profond oubli
Cet horrible secret demeure enseveli.
THÉRAMÈNE.
Si vous voulez partir, la voile est préparée.
Mais Athènes, Seigneur, s’est déjà déclarée.
Ses chefs ont pris les voix de toutes ses tribus.
Votre frère l’emporte, et Phèdre a le dessus.
HIPPOLYTE.
Phèdre ?
THÉRAMÈNE.
Un héraut chargé des volontés d’Athènes
De l’État en ses mains vient remettre les rênes.
Son fils est roi, Seigneur.
HIPPOLYTE.
Dieux, qui la connaissez,
Est-ce donc sa vertu que vous récompensez ?
THÉRAMÈNE.
Cependant un bruit sourd veut que le Roi respire.
On prétend que Thésée a paru dans l’Épire.
Mais moi qui l’y cherchai, Seigneur, je sais trop bien...
HIPPOLYTE.
N’importe, écoutons tout, et ne négligeons rien.
Examinons ce bruit, remontons à sa source.
S’il ne mérite pas d’interrompre ma course,
Partons ; et quelque prix qu’il en puisse coûter,
Mettons le sceptre aux mains dignes de le porter.
ACTE III
Scène première
PHÈDRE, ŒNONE
PHÈDRE.
Ah ! que l’on porte ailleurs les honneurs qu’on m’envoie.
Importune, peux-tu souhaiter qu’on me voie ?
De quoi viens-tu flatter mon esprit désolé ?
Cache-moi bien plutôt : je n’ai que trop parlé.
Mes fureurs au dehors ont osé se répandre.
J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre.
Ciel ! comme il m’écoutait ! Par combien de détours
L’insensible a longtemps éludé mes discours !
Comme il ne respirait qu’une retraite prompte !
Et combien sa rougeur a redoublé ma honte !
Pourquoi détournais-tu mon funeste dessein ?
Hélas ! quand son épée allait chercher mon sein,
A-t-il pâli pour moi ? me l’a-t-il arrachée ?
Il suffit que ma main l’ait une fois touchée,
Je l’ai rendue horrible à ses yeux inhumains ;
Et ce fer malheureux profanerait ses mains.
ŒNONE.
Ainsi, dans vos malheurs ne songeant qu’à vous plaindre,
Vous nourrissez un feu qu’il vous faudrait éteindre.
Ne vaudrait-il pas mieux, digne sang de Minos,
Dans de plus nobles soins chercher votre repos,
Contre un ingrat qui plaît recourir à la fuite,
Régner, et de l’État embrasser la conduite ?
PHÈDRE.
Moi régner ! Moi ranger un État sous ma loi,
Quand ma faible raison ne règne plus sur moi !
Lorsque j’ai de mes sens abandonné l’empire !
Quand sous un joug honteux à peine je respire !
Quand je me meurs !
ŒNONE.
Fuyez.
PHÈDRE.
Je ne le puis quitter.
ŒNONE.
Vous l’osâtes bannir, vous n’osez l’éviter.
PHÈDRE.
Il n’est plus temps. Il sait mes ardeurs insensées.
De l’austère pudeur les bornes sont passées[81].
J’ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur,
Et l’espoir, malgré moi, s’est glissé dans mon cœur.
Toi-même rappelant ma force défaillante,
Et mon âme déjà sur mes lèvres errante,
Par tes conseils flatteurs tu m’as su ranimer.
Tu m’as fait entrevoir que je pouvais l’aimer.
ŒNONE.
Hélas ! de vos malheurs innocente ou coupable,
De quoi pour vous sauver n’étais-je point capable ?
Mais si jamais l’offense irrita vos esprits,
Pouvez-vous d’un superbe oublier les mépris ?
Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée
Vous laissait à ses pieds peu s’en faut prosternée !
Que son farouche orgueil le rendait odieux !
Que Phèdre en ce moment n’avait-elle mes yeux ?
PHÈDRE.
Œnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse.
Nourri dans les forêts, il en a la rudesse.
Hippolyte, endurci par de sauvages lois,
Entend parler d’amour pour la première fois.
Peut-être sa surprise a causé son silence ;
Et nos plaintes peut-être ont trop de violence.
ŒNONE.
Songez qu’une barbare en son sein l’a formé.
PHÈDRE.
Quoique Scythe et barbare, elle a pourtant aimé.
ŒNONE.
Il a pour tout le sexe une haine fatale.
PHÈDRE.
Je ne me verrai point préférer de rivale[82].
Enfin tous tes conseils ne sont plus de saison.
Sers ma fureur, Œnone, et non point ma raison.
Il oppose à l’amour un cœur inaccessible :
Cherchons pour l’attaquer quelque endroit plus sensible.
Les charmes d’un empire ont paru le toucher ;
Athènes l’attirait, il n’a pu s’en cacher ;
Déjà de ses vaisseaux la pointe était tournée,
Et la voile flottait aux vents abandonnée.
Va trouver de ma part ce jeune ambitieux,
Œnone ; fais briller la couronne à ses yeux.
Qu’il mette sur son front le sacré diadème ;
Je ne veux que l’honneur de l’attacher moi-même[83].
Cédons-lui ce pouvoir que je ne puis garder.
Il instruira mon fils dans l’art de commander ;
Peut-être il voudra bien lui tenir lieu de père.
Je mets sous son pouvoir et le fils et la mère[84].
Pour le fléchir enfin tente tous les moyens :
Tes discours trouveront plus d’accès que les miens[85].
Presse, pleure, gémis ; plains-lui Phèdre mourante[86] ;
Ne rougis point de prendre une voix suppliante.
Je t’avouerai de tout; je n’espère qu’en toi.
Va : j’attends ton retour pour disposer de moi.
Scène II
PHÈDRE, seule
Ô toi, qui vois la honte où je suis descendue,
Implacable Vénus, suis-je assez confondue ?
Tu ne saurais plus loin pousser ta cruauté.
Ton triomphe est parfait; tous tes traits ont porté.
Cruelle, si tu veux une gloire nouvelle,
Attaque un ennemi qui te soit plus rebelle.
Hippolyte te fuit ; et bravant ton courroux,
Jamais à tes autels n’a fléchi les genoux.
Ton nom semble offenser ses superbes oreilles.
Déesse, venge-toi : nos causes sont pareilles[87].
Qu’il aime... Mais déjà tu reviens sur tes pas,
Œnone ? On me déteste, on ne t’écoute pas.
Scène III
PHÈDRE, ŒNONE
ŒNONE.
Il faut d’un vain amour étouffer la pensée,
Madame. Rappelez votre vertu passée :
Le Roi, qu’on a cru mort, va paraître à vos yeux ;
Thésée est arrivé, Thésée est en ces lieux.
Le peuple, pour le voir, court et se précipite.
Je sortais par votre ordre, et cherchais Hippolyte,
Lorsque jusques au ciel mille cris élancés...
PHÈDRE.
Mon époux est vivant, Œnone, c’est assez[88].
J’ai fait l’indigne aveu d’un amour qui l’outrage ;
Il vit : je ne veux pas en savoir davantage.
ŒNONE.
Quoi ?
PHÈDRE.
Je te l’ai prédit ; mais tu n’as pas voulu.
Sur mes justes remords tes pleurs ont prévalu.
Je mourais ce matin digne d’être pleurée ;
J’ai suivi tes conseils, je meurs déshonorée[89].
ŒNONE.
Vous mourez ?
PHÈDRE.
Juste ciel ! qu’ai-je fait aujourd’hui ?
Mon époux va paraître, et son fils avec lui.
Je verrai le témoin de ma flamme adultère
Observer de quel front j’ose aborder son père[90],
Le cœur gros de soupirs, qu’il n’a point écoutés,
L’œil humide de pleurs, par l’ingrat rebutés.
Penses-tu que sensible à l’honneur de Thésée,
Il lui cache l’ardeur dont je suis embrasée ?
Laissera-t-il trahir et son père et son roi ?
Pourra-t-il contenir l’horreur qu’il a pour moi ?
Il se tairait en vain. Je sais mes perfidies,
Œnone, et ne suis point de ces femmes hardies
Qui goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.
Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes.
Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes
Vont prendre la parole, et prêts à m’accuser,
Attendent mon époux pour le désabuser.
Mourons. De tant d’horreurs qu’un trépas me délivre.
Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre[91] ?
La mort aux malheureux ne cause point d’effroi.
Je ne crains que le nom que je laisse après moi.
Pour mes tristes enfants[92] quel affreux héritage !
Le sang de Jupiter[93] doit enfler leur courage ;
Mais quelque juste orgueil qu’inspire un sang si beau,
Le crime d’une mère est un pesant fardeau.
Je tremble qu’un discours, hélas ! trop véritable,
Un jour ne leur reproche une mère coupable.
Je tremble qu’opprimés de ce poids odieux
L’un ni l’autre jamais n’ose[94] lever les yeux[95].
ŒNONE.
Il n’en faut point douter, je les plains l’un et l’autre ;
Jamais crainte ne fut plus juste que la vôtre.
Mais à de tels affronts pourquoi les exposer ?
Pourquoi contre vous-même allez-vous déposer ?
C’en est fait : on dira que Phèdre, trop coupable,
De son époux trahi fuit l’aspect redoutable.
Hippolyte est heureux qu’aux dépens de vos jours
Vous-même en expirant appuyez[96] ses discours.
À votre accusateur que pourrai-je répondre ?
Je serai devant lui trop facile à confondre.
De son triomphe affreux je le verrai jouir,
Et conter votre honte à qui voudra l’ouïr.
Ah ! que plutôt du ciel la flamme me dévore !
Mais ne me trompez point, vous est-il cher encore ?
De quel œil voyez-vous ce prince audacieux ?
PHÈDRE.
Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux.
ŒNONE.
Pourquoi donc lui céder une victoire entière ?
Vous le craignez. Osez l’accuser la première
Du crime dont il peut vous charger aujourd’hui.
Qui vous démentira[97] ? Tout parle contre lui :
Son épée en vos mains heureusement laissée,
Votre trouble présent, votre douleur passée,
Son père par vos cris dès longtemps prévenu,
Et déjà son exil par vous-même obtenu.
PHÈDRE.
Moi, que j’ose opprimer et noircir l’innocence ?
ŒNONE.
Mon zèle n’a besoin que de votre silence.
Tremblante comme vous, j’en sens quelque remords.
Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
Mais puisque je vous perds sans ce triste remède,
Votre vie est pour moi d’un prix à qui tout cède[98].
Je parlerai. Thésée, aigri par mes avis,
Bornera sa vengeance à l’exil de son fils.
Un père en punissant. Madame, est toujours père :
Un supplice léger suffit à sa colère.
Mais le sang innocent dût-il être versé.
Que ne demande point votre honneur menacé ?
C’est un trésor trop cher pour oser le commettre.
Quelque loi qu’il vous dicte, il faut vous y soumettre,
Madame ; et pour sauver notre honneur combattu[99],
Il faut immoler tout, et même la vertu[100].
On vient ; je vois Thésée.
PHÈDRE.
Ah ! je vois Hippolyte ;
Dans ses yeux insolents je vois ma perte écrite.
Fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi.
Dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi.
Scène IV
THÉSÉE, HIPPOLYTE, PHÈDRE, ŒNONE, THÉRAMÈNE
THÉSÉE.
La fortune à mes vœux cesse d’être opposée,
Madame ; et dans vos bras met...
PHÈDRE.
Arrêtez, Thésée,
Et ne profanez point des transports si charmants.
Je ne mérite plus ces doux empressements.
Vous êtes offensé. La fortune jalouse
N’a pas en votre absence épargné votre épouse.
Indigne de vous plaire et de vous approcher,
Je ne dois désormais songer qu’à me cacher.
Scène V
THÉSÉE, HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE
THÉSÉE.
Quel est l’étrange accueil qu’on fait à votre père[101],
Mon fils ?
HIPPOLYTE.
Phèdre peut seule expliquer ce mystère.
Mais si mes vœux ardents vous peuvent émouvoir,
Permettez-moi, Seigneur, de ne la plus revoir ;
Souffrez que pour jamais le tremblant Hippolyte
Disparaisse des lieux que votre épouse habite.
THÉSÉE.
Vous, mon fils, me quitter ?
HIPPOLYTE.
Je ne la cherchais pas :
C’est vous qui sur ces bords conduisîtes ses pas.
Vous daignâtes, Seigneur, aux rives de Trézène
Confier en partant Aricie et la Reine.
Je fus même chargé du soin de les garder.
Mais quels soins désormais peuvent me retarder ?
Assez dans les forêts mon oisive jeunesse
Sur de vils ennemis a montré son adresse.
Ne pourrai-je, en fuyant un indigne repos,
D’un sang plus glorieux teindre mes javelots ?
Vous n’aviez pas encore atteint l’âge où je touche,
Déjà plus d’un tyran, plus d’un monstre farouche
Avait de votre bras senti la pesanteur ;
Déjà, de l’insolence heureux persécuteur,
Vous aviez des deux mers assuré les rivages.
Le libre voyageur ne craignait plus d’outrages ;
Hercule, respirant sur le bruit de vos coups,
Déjà de son travail se reposait sur vous.
Et moi, fils inconnu d’un si glorieux père,
Je suis même encor loin des traces de ma mère.
Souffrez que mon courage ose enfin s’occuper.
Souffrez, si quelque monstre a pu vous échapper,
Que j’apporte à vos pieds sa dépouille honorable,
Ou que d’un beau trépas la mémoire durable,
Éternisant des jours si noblement finis,
Prouve à tout l’univers que j’étais votre fils.
THÉSÉE.
Que vois-je ? Quelle horreur dans ces lieux répandue
Fait fuir devant mes yeux ma famille éperdue ?
Si je reviens si craint et si peu désiré,
Ô ciel, de ma prison pourquoi m’as-tu tiré ?
Je n’avais qu’un ami. Son imprudente flamme
Du tyran de l’Épire allait ravir la femme ;
Je servais à regret ses desseins amoureux ;
Mais le sort irrité nous aveuglait tous deux.
Le tyran m’a surpris sans défense et sans armes.
J’ai vu Pirithoüs, triste objet de mes larmes,
Livré par ce barbare à des monstres cruels
Qu’il nourrissait du sang des malheureux mortels[102].
Moi-même, il m’enferma dans des cavernes sombres,
Lieux profonds, et voisins de l’empire des ombres.
Les Dieux, après six mois, enfin m’ont regardé :
J’ai su tromper les yeux de qui j’étais gardé[103].
D’un perfide ennemi j’ai purgé la nature;
À ses monstres lui-même a servi de pâture ;
Et lorsque avec transport je pense m’approcher
De tout ce que les Dieux m’ont laissé de plus cher ;
Que dis-je ? quand mon âme, à soi-même rendue,
Vient se rassasier d’une si chère vue,
Je n’ai pour tout accueil que des frémissements :
Tout fuit, tout se refuse à mes embrassements.
Et moi-même, éprouvant la terreur que j’inspire,
Je voudrais être encor dans les prisons d’Épire.
Parlez. Phèdre se plaint que je suis outragé.
Qui m’a trahi ? Pourquoi ne suis-je pas vengé ?
La Grèce, à qui mon bras fut tant de fois utile,
A-t-elle au criminel accordé quelque asile ?
Vous ne répondez point. Mon fils, mon propre fils
Est-il d’intelligence avec mes ennemis ?
Entrons. C’est trop garder un doute qui m’accable.
Connaissons à la fois le crime et le coupable.
Que Phèdre explique enfin le trouble où je la voi.
Scène VI
HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE
HIPPOLYTE.
Où tendait ce discours qui m’a glacé d’effroi ?
Phèdre, toujours en proie à sa fureur extrême,
Veut-elle s’accuser et se perdre elle-même ?
Dieux ! que dira le Roi ? Quel funeste poison
L’amour a répandu sur toute sa maison !
Moi-même, plein d’un feu que sa haine réprouve,
Quel il m’a vu jadis, et quel il me retrouve !
De noirs pressentiments viennent m’épouvanter.
Mais l’innocence enfin n’a rien à redouter.
Allons, cherchons ailleurs par quelle heureuse adresse
Je pourrai de mon père émouvoir la tendresse,
Et lui dire un amour qu’il peut vouloir troubler,
Mais que tout son pouvoir ne saurait ébranler.
ACTE IV
Scène première
THÉSÉE, ŒNONE
THÉSÉE.
Ah ! qu’est-ce que j’entends ? Un traître, un téméraire
Préparait cet outrage à l’honneur de son père ?
Avec quelle rigueur, destin, tu me poursuis !
Je ne sais où je vais, je ne sais où je suis[104].
Ô tendresse ! ô bonté trop mal récompensée !
Projet audacieux ! détestable pensée !
Pour parvenir au but de ses noires amours,
L’insolent de la force empruntait le secours.
J’ai reconnu le fer, instrument de sa rage,
Ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage[105].
Tous les liens du sang n’ont pu le retenir ?
Et Phèdre différait à le faire punir ?
Le silence de Phèdre épargnait le coupable ?
ŒNONE.
Phèdre épargnait plutôt un père déplorable[106].
Honteuse du dessein d’un amant furieux
Et du feu criminel qu’il a pris dans ses yeux,
Phèdre mourait, Seigneur, et sa main meurtrière
Éteignait de ses yeux l’innocente lumière.
J’ai vu lever le bras, j’ai couru la sauver.
Moi seule à votre amour j’ai su la conserver ;
Et plaignant à la fois son trouble et vos alarmes,
J’ai servi, malgré moi, d’interprète à ses larmes.
THÉSÉE.
Le perfide ! Il n’a pu s’empêcher de pâlir.
De crainte, en m’abordant, je l’ai vu tressaillir.
Je me suis étonné de son peu d’allégresse ;
Ses froids embrassements ont glacé ma tendresse.
Mais ce coupable amour dont il est dévoré
Dans Athènes déjà s’était-il déclaré ?
ŒNONE.
Seigneur, souvenez-vous des plaintes de la Reine.
Un amour criminel causa toute sa haine.
THÉSÉE.
Et ce feu dans Trézène a donc recommencé ?
ŒNONE.
Je vous ai dit, Seigneur, tout ce qui s’est passé.
C’est trop laisser la Reine à sa douleur mortelle ;
Souffrez que je vous quitte et me range auprès d’elle.
Scène II[107]
THÉSÉE, HIPPOLYTE
THÉSÉE.
Ah ! le voici. Grands Dieux! à ce noble maintien[108]
Quel œil ne serait pas trompé comme le mien ?
Faut-il que sur le front d’un profane adultère
Brille de la vertu le sacré caractère ?
Et ne devrait-on pas à des signes certains
Reconnaître le cœur des perfides humains[109] ?
HIPPOLYTE.
Puis-je vous demander quel funeste nuage,
Seigneur, a pu troubler votre auguste visage ?
N’osez-vous confier ce secret à ma foi ?
THÉSÉE.
Perfide, oses-tu bien te montrer devant moi ?
Monstre, qu’a trop longtemps épargné le tonnerre,
Reste impur des brigands dont j’ai purgé la terre.
Après que le transport d’un amour plein d’horreur
Jusqu’au lit de ton père a porté sa fureur[110]
Tu m’oses présenter une tête ennemie[111],
Tu parais dans des lieux pleins de ton infamie,
Et ne vas pas chercher, sous un ciel inconnu,
Des pays où mon nom ne soit point parvenu.
Fuis, traître. Ne viens point braver ici ma haine,
Et tenter un courroux que je retiens à peine.
C’est bien assez pour moi de l’opprobre éternel
D’avoir pu mettre au jour un fils si criminel,
Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire,
De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.
Fuis ; et si tu ne veux qu’un châtiment soudain
T’ajoute aux scélérats qu’a punis cette main,
Prends garde que jamais l’astre qui nous éclaire
Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire.
Fuis, dis-je ; et sans retour précipitant tes pas,
De ton horrible aspect purge tous mes États[112].
Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage
D’infâmes assassins nettoya ton rivage,
Souviens-toi que pour prix de mes efforts heureux,
Tu promis d’exaucer le premier de mes vœux[113].
Dans les longues rigueurs d’une prison cruelle
Je n’ai point imploré ta puissance immortelle.
Avare du secours que j’attends de tes soins[114],
Mes vœux t’ont réservé pour de plus grands besoins :
Je t’implore aujourd’hui. Venge un malheureux père.
J’abandonne ce traître à toute ta colère ;
Étouffe dans son sang ses désirs effrontés :
Thésée à tes fureurs connaîtra tes bontés.
HIPPOLYTE.
D’un amour criminel Phèdre accuse Hippolyte !
Un tel excès d’horreur rend mon âme interdite ;
Tant de coups imprévus m’accablent à la fois,
Qu’ils m’ôtent la parole et m’étouffent la voix[115].
THÉSÉE.
Traître, tu prétendais qu’en un lâche silence
Phèdre ensevelirait ta brutale insolence.
Il fallait, en fuyant, ne pas abandonner
Le fer qui dans ses mains aide à te condamner ;
Ou plutôt il fallait, comblant ta perfidie,
Lui ravir tout d’un coup la parole et la vie.
HIPPOLYTE.
D’un mensonge si noir justement irrité,
Je devrais faire ici parler la vérité,
Seigneur ; mais je supprime un secret qui vous touche.
Approuvez le respect qui me ferme la bouche[116] ;
Et sans vouloir vous-même augmenter vos ennuis,
Examinez ma vie, et songez qui je suis.
Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes.
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes
Peut violer enfin les droits les plus sacrés ;
Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés ;
Et jamais on n’a vu la timide innocence
Passer subitement à l’extrême licence.
Un jour seul ne fait point d’un mortel vertueux
Un perfide assassin, un lâche incestueux.
Élevé dans le sein d’une chaste héroïne[117],
Je n’ai point de son sang démenti l’origine.
Pitthée, estimé sage entre tous les humains,
Daigna m’instruire encore au sortir de ses mains[118].
Je ne veux point me peindre avec trop d’avantage ;
Mais si quelque vertu m’est tombée en partage,
Seigneur, je crois surtout avoir fait éclater
La haine des forfaits qu’on ose m’imputer[119].
C’est par là qu’Hippolyte est connu dans la Grèce.
J’ai poussé la vertu jusques à la rudesse.
On sait de mes chagrins[120] l’inflexible rigueur.
Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.
Et l’on veut qu’Hippolyte, épris d’un feu profane...
THÉSÉE.
Oui, c’est ce même orgueil, lâche ! qui te condamne.
Je vois de tes froideurs le principe odieux :
Phèdre seule charmait tes impudiques yeux[121] ;
Et pour tout autre objet ton âme indifférente
Dédaignait de brûler d’une flamme innocente.
HIPPOLYTE.
Non, mon père, ce cœur, c’est trop vous le celer,
N’a point d’un chaste amour dédaigné de brûler.
Je confesse à vos pieds ma véritable offense :
J’aime, j’aime, il est vrai, malgré votre défense.
Aricie à ses lois tient mes vœux asservis ;
La fille de Pallante a vaincu votre fils.
Je l’adore, et mon âme, à vos ordres rebelle,
Ne peut ni soupirer ni brûler que pour elle.
THÉSÉE.
Tu l’aimes ? ciel ! Mais non, l’artifice est grossier.
Tu te feins criminel pour te justifier.
HIPPOLYTE.
Seigneur, depuis six mois je l’évite, et je l’aime.
Je venois en tremblant vous le dire à vous-même.
Hé quoi ? de votre erreur rien ne vous peut tirer ?
Par quel affreux serment faut-il vous rassurer ?
Que la terre, le ciel, que toute la nature[122]...
THÉSÉE.
Toujours les scélérats ont recours au parjure.
Cesse, cesse, et m’épargne un importun discours,
Si ta fausse vertu n’a point d’autre secours.
HIPPOLYTE.
Elle vous paraît fausse et pleine d’artifice.
Phèdre au fond de son cœur me rend plus de justice.
THÉSÉE.
Ah ! que ton impudence excite mon courroux !
HIPPOLYTE.
Quel temps à mon exil, quel lieu prescrivez-vous ?
THÉSÉE.
Fusses-tu par delà les colonnes d’Alcide,
Je me croirais encor trop voisin d’un perfide[123].
HIPPOLYTE.
Chargé du crime affreux dont vous me soupçonnez,
Quels amis me plaindront, quand vous m’abandonnez ?
THÉSÉE.
Va chercher des amis dont l’estime funeste
Honore l’adultère, applaudisse à l’inceste,
Des traîtres, des ingrats, sans honneur et sans loi,
Dignes de protéger un méchant tel que toi[124].
HIPPOLYTE.
Vous me parlez toujours d’inceste et d’adultère ?
Je me tais. Cependant Phèdre sort d’une mère.
Phèdre est d’un sang, Seigneur, vous le savez trop bien,
De toutes ces horreurs plus rempli que le mien.
THÉSÉE.
Quoi ? ta rage à mes yeux perd toute retenue ?
Pour la dernière fois, ôte-toi de ma vue :
Sors, traître. N’attends pas qu’un père furieux
Te fasse avec opprobre arracher de ces lieux[125].
Scène III
THÉSÉE, seul
Misérable, tu cours à ta perte infaillible.
Neptune, par le fleuve aux Dieux mêmes terrible,
M’a donné sa parole, et va l’exécuter.
Un dieu vengeur te suit, tu ne peux l’éviter.
Je t’aimais ; et je sens que malgré ton offense
Mes entrailles pour toi se troublent par avance[126].
Mais à te condamner tu m’as trop engagé.
Jamais père en effet fut-il plus outragé ?
Justes Dieux, qui voyez la douleur qui m’accable,
Ai-je pu mettre au jour un enfant si coupable ?
Scène IV[127]
PHÈDRE, THÉSÉE
PHÈDRE.
Seigneur, je viens à vous, pleine d’un juste effroi.
Votre voix redoutable a passé jusqu’à moi[128].
Je crains qu’un prompt effet n’ait suivi la menace.
S’il en est temps encore, épargnez votre race,
Respectez votre sang, j’ose vous en prier.
Sauvez-moi de l’horreur de l’entendre crier ;
Ne me préparez point la douleur éternelle
De l’avoir fait répandre à la main paternelle.
THÉSÉE.
Non, Madame, en mon sang ma main n’a point trempé ;
Mais l’ingrat toutefois ne m’est point échappé.
Une immortelle main de sa perte est chargée.
Neptune me la doit, et vous serez vengée.
PHÈDRE.
Neptune vous la doit ! Quoi ? vos vœux irrités...
THÉSÉE.
Quoi ? craignez-vous déjà qu’ils ne soient écoutés ?
Joignez-vous bien plutôt à mes vœux légitimes.
Dans toute leur noirceur retracez-moi ses crimes ;
Échauffez mes transports trop lents, trop retenus.
Tous ses crimes encor ne vous sont pas connus :
Sa fureur contre vous se répand en injures :
Votre bouche, dit-il, est pleine d’impostures ;
Il soutient qu’Aricie a son cœur, a sa foi,
Qu’il l’aime.
PHÈDRE.
Quoi, Seigneur ?
THÉSÉE.
Il l’a dit devant moi.
Mais je sais rejeter un frivole artifice.
Espérons de Neptune une prompte justice.
Je vais moi-même encore au pied[129] de ses autels
Le presser d’accomplir ses serments immortels.
Scène V
PHÈDRE, seule
Il sort. Quelle nouvelle a frappé mon oreille ?
Quel feu mal étouffé dans mon cœur se réveille ?
Quel coup de foudre, ô ciel ! et quel funeste avis !
Je volais toute entière au secours de son fils ;
Et m’arrachant des bras d’Œnone épouvantée,
Je cédais au remords dont j’étais tourmentée.
Qui sait même où m’allait porter ce repentir ?
Peut-être à m’accuser j’aurais pu consentir ;
Peut-être, si la voix ne m’eût été coupée,
L’affreuse vérité me serait échappée.
Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi !
Aricie a son cœur ! Aricie a sa foi !
Ah, Dieux ! Lorsqu’à mes vœux l’ingrat inexorable
S’armait d’un œil si fier, d’un front si redoutable,
Je pensais qu’à l’amour son cœur toujours fermé
Fût contre tout mon sexe également armé.
Une autre cependant a fléchi son audace ;
Devant ses yeux cruels une autre a trouvé grâce.
Peut-être a-t-il un cœur facile à s’attendrir.
Je suis le seul objet qu’il ne saurait souffrir ;
Et je me chargerais du soin de le défendre ?
Scène VI
PHÈDRE, ŒNONE
PHÈDRE.
Chère Œnone, sais-tu ce que je viens d’apprendre ?
ŒNONE.
Non ; mais je viens tremblante, à ne vous point mentir.
J’ai pâli du dessein qui vous a fait sortir :
J’ai craint une fureur à vous-même fatale.
PHÈDRE.
Œnone, qui l’eût cru ? j’avais une rivale.
ŒXONE.
Comment ?
PHÈDRE.
Hippolyte aime, et je n’en puis douter.
Ce farouche ennemi qu’on ne pouvait dompter,
Qu’offensait le respect, qu’importunait la plainte,
Ce tigre, que jamais je n’abordai sans crainte,
Soumis, apprivoisé, reconnaît un vainqueur :
Aricie a trouvé le chemin de son cœur.
ŒXONE.
Aricie ?
PHÈDRE.
Ah ! douleur non encore éprouvée !
À quel nouveau tourment je me suis réservée !
Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords,
Et d’un refus cruel l’insupportable injure
N’était qu’un faible essai du tourment que j’endure.
Ils s’aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ?
Comment se sont-ils vus ? Depuis quand ? Dans quels lieux ?
Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire ?
De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m’instruire ?
Les a-t-on vus[130] souvent se parler, se chercher ?
Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher ?
Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence.
Le ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ;
Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ;
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature entière,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumière ;
La mort est le seul dieu que j’osais implorer.
J’attendais le moment où j’allais expirer[131] ;
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor dans mon malheur de trop près observée,
Je n’osais dans mes pleurs me noyer à loisir :
Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir ;
Et sous un front serein déguisant mes alarmes,
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.
ŒNONE.
Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours ?
Ils ne se verront plus.
PHÈDRE.
Ils s’aimeront toujours.
Au moment que je parle, ah ! mortelle pensée !
Ils bravent la fureur d’une amante insensée.
Malgré ce même exil qui va les écarter,
Ils font mille serments rie ne se point quitter.
Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m’outrage,
Œnone. Prends pitié de ma jalouse rage,
Il faut perdre Aricie. Il faut de mon époux
Contre un sang odieux réveiller le courroux.
Qu’il ne se borne pas à des peines légères :
Le crime de la sœur passe celui des frères.
Dans mes jaloux transports je le veux implorer.
Que fais-je ? Où ma raison se va-t-elle égarer ?
Moi jalouse ! et Thésée est celui que j’implore !
Mon époux est vivant, et moi je brûle encore !
Pour qui ? Quel est le cœur où prétendent mes vœux ?
Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.
Mes crimes désormais ont comblé la mesure.
Je respire à la fois l’inceste et l’imposture.
Mes homicides mains, promptes à me venger,
Dans le sang innocent brûlent de se plonger.
Misérable ! et je vis ? et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue ?
J’ai pour aïeul le père et le maître des Dieux ;
Le ciel, tout l’univers est plein de mes aïeux.
Où me cacher[132] ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon père y tient l’urne fatale ;
Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains :
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah ! combien frémira son ombre épouvantée,
Lorsqu’il verra sa fille à ses yeux présentée,
Contrainte d’avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers !
Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible ?
Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible ;
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-même de ton sang devenir le bourreau.
Pardonne. Un Dieu cruel a perdu ta famille ;
Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.
Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit
Jamais mon triste cœur n’a recueilli le fruit[133].
Jusqu’au dernier soupir de malheurs poursuivie,
Je rends dans les tourments une pénible vie.
ŒNONE.
Hé ! repoussez, Madame, une injuste terreur.
Regardez d’un autre œil une excusable erreur.
Vous aimez. On ne peut vaincre sa destinée.
Par un charme fatal vous fûtes entraînée.
Est-ce donc un prodige inouï parmi nous ?
L’amour n’a-t-il encor triomphé que de vous ?
La faiblesse aux humains n’est que trop naturelle.
Mortelle, subissez le sort d’une mortelle.
Vous vous plaignez d’un joug imposé dés longtemps :
Les Dieux même[134], les Dieux, de l’Olympe habitants[135],
Qui d’un bruit si terrible épouvantent les crimes,
Ont brûlé quelquefois de feux illégitimes[136].
PHÈDRE.
Qu’entends-je ? Quels conseils ose-t-on me donner ?
Ainsi donc jusqu’au bout tu veux m’empoisonner,
Malheureuse ? Voilà comme tu m’as perdue[137].
Au jour que je fuyais c’est toi qui m’as rendue.
Tes prières m’ont fait oublier mon devoir.
J’évitais Hippolyte, et tu me l’as fait voir.
De quoi te chargeais-tu ? Pourquoi ta bouche impie
A-t-elle, en l’accusant, osé noircir sa vie ?
Il en mourra peut-être, et d’un père insensé
Le sacrilège vœu peut-être est exaucé.
Je ne t’écoute plus. Va-t’en, monstre exécrable :
Va, laisse-moi le soin de mon sort déplorable.
Puisse le juste ciel dignement te payer !
Et puisse ton supplice à jamais effrayer
Tous ceux qui comme toi, par de lâches adresses,
Des princes malheureux nourrissent les faiblesses,
Les poussent au penchant où leur cœur est enclin,
Et leur osent du crime aplanir le chemin,
Détestables flatteurs, présent le plus funeste
Que puisse faire aux rois la colère céleste[138] !
ŒNONE, seule.
Ah, Dieux[139] ! pour la servir j’ai tout fait, tout quitté ;
Et j’en reçois ce prix ? Je l’ai bien mérité.
ACTE V
Scène première
HIPPOLYTE, ARICIE[140]
ARICIE.
Quoi ? vous pouvez vous taire en ce péril extrême ?
Vous laissez dans l’erreur un père qui vous aime ?
Cruel, si de mes pleurs méprisant le pouvoir,
Vous consentez sans peine à ne me plus revoir,
Partez, séparez-vous de la triste Aricie ;
Mais du moins en partant assurez votre vie.
Défendez votre honneur d’un reproche honteux,
Et forcez votre père à révoquer ses vœux.
Il en est temps encor. Pourquoi, par quel caprice,
Laissez-vous le champ libre à votre accusatrice ?
Éclaircissez Thésée.
HIPPOLYTE.
Hé ! que n’ai-je point dit ?
Ai-je dû mettre au jour l’opprobre de son lit ?
Devais-je, en lui faisant un récit trop sincère,
D’une indigne rougeur couvrir le front d’un père ?
Vous seule avez percé ce mystère odieux.
Mon cœur pour s’épancher n’a que vous et les Dieux.
Je n’ai pu vous cacher, jugez si je vous aime,
Tout ce que je voulais me cacher à moi-même.
Mais songez sous quel sceau je vous l’ai révélé.
Oubliez, s’il se peut, que je vous ai parlé,
Madame ; et que jamais une bouche si pure
Ne s’ouvre pour conter cette horrible aventure.
Sur l’équité des Dieux osons nous confier :
Ils ont trop d’intérêt à me justifier ;
Et Phèdre, tôt ou tard de son crime punie,
N’en saurait éviter la juste ignominie.
C’est l’unique respect que j’exige de vous.
Je permets tout le reste à mon libre courroux.
Sortez de l’esclavage où vous êtes réduite ;
Osez me suivre, osez accompagner ma fuite ;
Arrachez-vous d’un lieu funeste et profané,
Où la vertu respire un air empoisonné ;
Profitez, pour cacher votre prompte retraite,
De la confusion que ma disgrâce y jette.
Je vous puis de la fuite assurer les moyens.
Vous n’avez jusqu’ici de gardes que les miens ;
De puissants défenseurs prendront notre querelle ;
Argos nous tend les bras, et Sparte nous appelle :
À nos amis communs portons nos justes cris ;
Ne souffrons pas que Phèdre, assemblant nos débris,
Du trône paternel nous chasse l’un et l’autre,
Et promette à son fils ma dépouille et la vôtre.
L’occasion est belle, il la faut embrasser.
Quelle peur vous retient ? Vous semblez balancer ?
Votre seul intérêt m’inspire cette audace.
Quand je suis tout de feu, d’où vous vient cette glace ?
Sur les pas d’un banni craignez-vous de marcher ?
ARICIE.
Hélas ! qu’un tel exil, Seigneur, me serait cher !
Dans quels ravissements, à votre sort liée,
Du reste des mortels je vivrais oubliée !
Mais n’étant point unis par un lien si doux,
Me puis-je avec honneur dérober avec vous ?
Je sais que sans blesser l’honneur le plus sévère,
Je me puis affranchir des mains de votre père :
Ce n’est point m’arracher du sein de mes parents ;
Et la fuite est permise à qui fuit ses tyrans.
Mais vous m’aimez, Seigneur ; et ma gloire alarmée...
HIPPOLYTE.
Non, non, j’ai trop de soin de votre renommée.
Un plus noble dessein m’amène devant vous :
Fuyez mes ennemis, et suivez votre époux.
Libres dans nos malheurs, puisque le ciel l’ordonne,
Le don de notre foi ne dépend de personne.
L’hymen n’est point toujours entouré de flambeaux.
Aux portes de Trézène, et parmi ces tombeaux,
Des princes de ma race antiques sépultures,
Est un temple sacré formidable aux parjures.
C’est là que les mortels n’osent jurer en vain :
Le perfide y reçoit un châtiment soudain ;
Et craignant d’y trouver la mort inévitable,
Le mensonge n’a point de frein plus redoutable.
Là, si vous m’en croyez, d’un amour éternel
Nous irons confirmer le serment solennel ;
Nous prendrons à témoin le dieu qu’on y révère ;
Nous le prierons tous deux de nous servir de père.
Des dieux les plus sacrés j’attesterai le nom.
Et la chaste Diane, et l’auguste Junon,
Et tous les Dieux enfin, témoins de mes tendresses,
Garantiront la foi de mes saintes promesses.
ARICIE.
Le Roi vient. Fuyez, Prince, et partez promptement.
Pour cacher mon départ, je demeure un moment.
Allez ; et laissez-moi quelque fidèle guide,
Qui conduise vers vous ma démarche timide.
Scène II
THÉSÉE, ARICIE, ISMÈNE
THÉSÉE.
Dieux, éclairez mon trouble, et daignez à mes yeux
Montrer la vérité, que je cherche en ces lieux.
ARICIE.
Songe à tout, chère Ismène, et sois prête à la fuite.
Scène III
THÉSÉE, ARICIE
THÉSÉE.
Vous changez de couleur, et semblez interdite,
Madame ! Que faisait Hippolyte en ce lieu ?
ARICIE.
Seigneur, il me disait un éternel adieu.
THÉSÉE.
Vos yeux ont su dompter ce rebelle courage ;
Et ses premiers soupirs sont votre heureux ouvrage.
ARICIE.
Seigneur, je ne vous puis nier la vérité :
De votre injuste haine il n’a pas hérité ;
Il ne me traitait point comme une criminelle.
THÉSÉE.
J’entends : il vous jurait une amour éternelle.
Ne vous assurez point sur ce cœur inconstant ;
Car à d’autres que vous il en jurait autant.
ARICIE.
Lui, Seigneur ?
THÉSÉE.
Vous deviez le rendre moins volage :
Comment souffriez[141]-vous cet horrible partage ?
ARICIE.
Et comment souffrez-vous que d’horribles discours
D’une si belle vie osent noircir le cours ?
Avez-vous de son cœur si peu de connaissance ?
Discernez-vous si mal le crime et l’innocence ?
Faut-il qu’à vos yeux seuls un nuage odieux
Dérobe sa vertu qui brille à tous les yeux ?
Ah ! c’est trop le livrer à des langues perfides.
Cessez : repentez-vous de vos vœux homicides ;
Craignez, Seigneur, craignez que le ciel rigoureux
Ne vous haïsse assez pour exaucer vos vœux.
Souvent dans sa colère il reçoit nos victimes ;
Ses présents sont souvent la peine de nos crimes.
THÉSÉE.
Non, vous voulez en vain couvrir son attentat :
Votre amour vous aveugle en faveur de l’ingrat.
Mais j’en crois des témoins certains, irréprochables :
J’ai vu, j’ai vu couler des larmes véritables.
ARICIE.
Prenez garde, Seigneur. Vos invincibles mains
Ont de monstres sans nombre affranchi les humains ;
Mais tout n’est pas détruit, et vous en laissez vivre
Un... Votre fils, Seigneur, me défend de poursuivre.
Instruite du respect qu’il veut vous conserver,
Je l’affligerais trop si j’osais achever.
J’imite sa pudeur, et fuis votre présence
Pour n’être pas forcée à rompre le silence.
Scène IV
THÉSÉE, seul
Quelle est donc sa pensée ? et que cache un discours
Commencé tant de fois, interrompu toujours ?
Veulent-ils m’éblouir par une feinte vaine ?
Sont-ils d’accord tous deux pour me mettre à la gène ?
Mais moi-même, malgré ma sévère rigueur,
Quelle plaintive voix crie au fond de mon cœur ?
Une pitié secrète et m’afflige et m’étonne.
Une seconde fois interrogeons Œnone.
Je veux de tout le crime être mieux éclairci.
Gardes, qu’Œnone sorte, et vienne seule ici.
Scène V
THÉSÉE, PANOPE
PANOPE.
J’ignore le projet que la Reine médite,
Seigneur, mais je crains tout du transport qui l’agite.
Un mortel désespoir sur son visage est peint ;
La pâleur de la mort est déjà sur son teint.
Déjà, de sa présence avec honte chassée,
Dans la profonde mer Œnone s’est lancée[142].
On ne sait point d’où part ce dessein furieux ;
Et les flots pour jamais l’ont ravie à nos yeux.
THÉSÉE.
Qu’entends-je ?
PANOPE.
Son trépas n’a point calmé la Reine :
Le trouble semble croître en son âme incertaine.
Quelquefois, pour flatter ses secrètes douleurs,
Elle prend ses enfants et les baigne de pleurs ;
Et soudain, renonçant à l’amour maternelle,
Sa main avec horreur les repousse loin d’elle[143].
Elle porte au hasard ses pas irrésolus ;
Son œil tout égaré ne nous reconnaît plus.
Elle a trois fois écrit ; et changeant de pensée,
Trois fois elle a rompu sa lettre commencée[144].
Daignez la voir, Seigneur ; daignez la secourir.
THÉSÉE.
Ô ciel ! Œnone est morte, et Phèdre veut mourir ?
Qu’on rappelle mon fils, qu’il vienne se défendre !
Qu’il vienne me parler, je suis prêt de l’entendre.
Ne précipite point tes funestes bienfaits,
Neptune ; j’aime mieux n’être exaucé jamais.
J’ai peut-être trop cru des témoins peu fidèles,
Et j’ai trop tôt vers toi levé mes mains cruelles.
Ah ! de quel désespoir mes vœux seraient suivis !
Scène VI
THÉSÉE, THÉRAMÈNE
THÉSÉE.
Théramène, est-ce toi ? Qu’as-tu fait de mon fils ?
Je te l’ai confié dès l’âge le plus tendre.
Mais d’où naissent les pleurs que je te vois répandre ?
Que fait mon fils ?
THÉRAMÈNE.
Ô soins tardifs et superflus !
Inutile tendresse ! Hippolyte n’est plus[145].
THÉSÉE.
Dieux !
THÉRAMÈNE.
J’ai vu des mortels périr le plus aimable,
Et j’ose dire encor, Seigneur, le moins coupable.
THÉSÉE.
Mon fils n’est plus ? Hé quoi ? quand je lui tends les bras.
Les Dieux impatients ont hâté son trépas ?
Quel coup me l’a ravi ? quelle foudre soudaine ?
THÉRAMÈNE.
À peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char ; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés ;
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes[146].
Ses superbes coursiers, qu’on voyait autrefois
Pleins d’une ardeur si noble obéir à sa voix,
L’œil morne maintenant et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la terre une voix formidable
Répond en gémissant à ce cri redoutable.
Jusqu’au fond de nos cœurs notre sang s’est glacé ;
Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé.
Cependant sur le dos de la plaine liquide
S’élève à gros bouillons une montagne humide ;
L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des Ilots d’écume, un monstre furieux[147].
Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d’écaillés jaunissantes ;
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage ;
La terre s’en émeut, l’air en est infecté ;
Le flot, qui l’apporta, recule épouvanté[148].
Tout fuit ; et sans s’armer d’un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d’un dard lancé d’une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur présente une gueule enflammée,
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.
La frayeur les emporte[149] ; et sourds à cette fois,
Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix[150].
En efforts impuissants leur maître se consume ;
Ils rougissent le mors d’une sanglante écume.
On dit qu’on a vu même, en ce désordre affreux,
Un Dieu qui d’aiguillons pressait leur flanc poudreux.
À travers des rochers la peur les précipite[151] ;
L’essieu crie et se rompt. L’intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé ;
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé[152].
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris[153].
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ;
Ils courent. Tout son corps n’est bientôt qu’une plaie[154].
De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue impétueuse enfin se ralentit :
Ils s’arrêtent, non loin de ces tombeaux antiques
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
J’y cours en soupirant, et sa garde me suit.
De son généreux sang la trace nous conduit :
Les rochers en sont teints ; les ronces dégoutantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J’arrive, je l’appelle ; et me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant, qu’il referme soudain[155].
« Le ciel, dit-il, m’arrache une innocente vie.
Prends soin après ma mort de la triste Aricie.
Cher ami, si mon père un jour désabusé
Plaint le malheur d’un fils faussement accusé,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis-lui qu’avec douceur il traite sa captive ;
Qu’il lui rende... » À ce mot ce héros expiré
N’a laissé dans mes bras qu’un corps défiguré,
Triste objet, où des Dieux triomphe la colère,
Et que méconnaîtrait l’œil même de son père.
THÉSÉE.
Ô mon fils ! cher espoir que je me suis ravi !
Inexorables Dieux, qui m’avez trop servi[156] !
À quels mortels regrets ma vie est réservée !
THÉRAMÈNE.
La timide Aricie est alors arrivée.
Elle venait, Seigneur, fuyant votre courroux,
À la face des Dieux l’accepter pour époux.
Elle approche : elle voit l’herbe rouge et fumante ;
Elle voit (quel objet pour les yeux d’une amante !)
Hippolyte étendu, sans forme et sans couleur.
Elle veut quelque temps douter de son malheur ;
Et ne connaissant plus ce héros qu’elle adore,
Elle voit Hippolyte et le demande encore.
Mais trop sûre à la fin qu’il est devant ses yeux,
Par un triste regard elle accuse les Dieux ;
Et froide, gémissante, et presque inanimée,
Aux pieds de son amant elle tombe pâmée.
Ismène est auprès d’elle ; Ismène, toute en pleurs,
La rappelle à la vie, ou plutôt aux douleurs.
Et moi, je suis venu, détestant la lumière,
Vous dire d’un héros la volonté dernière,
Et m’acquitter, Seigneur, du malheureux emploi
Dont son cœur expirant s’est reposé sur moi.
Mais j’aperçois venir sa mortelle ennemie.
Scène VII
THÉSÉE, PHÈDRE, THÉRAMÈNE, PANOPE, GARDES
THÉSÉE.
Hé bien ! vous triomphez, et mon fils est sans vie.
Ah ! que j’ai lieu de craindre ! et qu’un cruel soupçon,
L’excusant dans mon cœur, m’alarme avec raison !
Mais, Madame, il est mort, prenez votre victime :
Jouissez de sa perte, injuste ou légitime.
Je consens que mes yeux soient toujours abusés.
Je le crois criminel, puisque vous l’accusez.
Son trépas à mes pleurs offre assez de matières,
Sans que j’aille chercher d’odieuses lumières,
Qui ne pouvant le rendre à ma juste douleur,
Peut-être ne feraient qu’accroître mon malheur.
Laissez-moi, loin de vous et loin de ce rivage,
De mon fils déchiré fuir la sanglante image.
Confus, persécuté d’un mortel souvenir,
De l’univers entier je voudrais me bannir.
Tout semble s’élever contre mon injustice.
L’éclat de mon nom même augmente mon supplice
Moins connu des mortels, je me cacherais mieux.
Je hais jusques au soin dont m’honorent les Dieux ;
Et je m’en vais pleurer leurs faveurs meurtrières,
Sans plus les fatiguer d’inutiles prières.
Quoi qu’ils fissent pour moi, leur funeste bonté
Ne me saurait payer de ce qu’ils m’ont ôté.
PHÈDRE.
Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence :
Il faut à votre fils rendre son innocence.
Il n’était point coupable.
THÉSÉE.
Ah ! père infortuné !
Et c’est sur votre foi que je l’ai condamné !
Cruelle, pensez-vous être assez excusée...
PHÈDRE.
Les moments me sont chers, écoutez-moi, Thésée.
C’est moi qui sur ce fils chaste et respectueux
Osai jeter un œil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste[157] ;
La détestable Œnone a conduit tout le reste[158].
Elle a craint qu’Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur.
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S’est hâtée à vos yeux de l’accuser lui-même.
Elle s’en est punie, et fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;
Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée.
J’ai voulu, devant vous exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;
Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour, qu’ils souillaient, toute sa pureté[159].
PANOPE.
Elle expire, Seigneur !
THÉSÉE.
D’une action si noire
Que ne peut avec elle expirer la mémoire !
Allons, de mon erreur, hélas ! trop éclaircis,
Mêler nos pleurs au sang de mon malheureux fils.
Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste,
Expier la fureur d’un vœu que je déteste.
Rendons-lui les honneurs qu’il a trop mérités ;
Et pour mieux apaiser ses mânes irrités,
Que malgré les complots d’une injuste famille,
Son amante aujourd’hui me tienne lieu de fille.
[1] Dans l’Argolide. La scène est également à Trézène dans l’Hippolyte d’Euripide ; elle est à Athènes dans l’Hippolyte de Sénèque.
[2] Les éditions antérieures à celle de 1697, dont nous suivons le texte, portent : « m’a paru le plus éclatant. » – Nous n’oserions affirmer que la suppression de l’article, quoique autorisée par de nombreux exemples, soit bien de Racine.
[3] Voyez la Poétique, chapitre XIII.
[4] Schlegel (Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d’Euripide, p. 35) relève vivement ce passage de la Préface : « Je ne m’arrête pas, dit-il, à cette manière de courtisan de rejeter les bassesses dont on peut avoir besoin dans une tragédie, sur les personnages d’un rang inférieur ; mais Racine avait-il donc oublié cette maxime triviale du droit et de la morale, que chacun est censé avoir fait lui-même ce qu’il a fait faire par un autre ? » On peut, en abusant peut-être des expressions de Racine, trouver, dans un siècle démocratique, qu’il parle ici des humbles conditions avec quelque dédain ; mais il est clair, en lisant tout ce passage, et surtout la pièce, qu’il a moins ménagé dans Phèdre son rang élevé que ces sentiments nobles et vertueux dont il a voulu laisser des marques touchantes dans cette âme égarée. Là surtout est la grande beauté du rôle. Sans doute, en bonne morale, on est coupable de tout ce qu’on a laissé faire. Néanmoins, si Phèdre avait pris d’elle-même la résolution d’accuser Hippolyte, au lieu de se laisser arracher un consentement hésitant, elle eût bien plus révolté, et n’eût pas inspiré la même pitié.
[5] Acte III, scène II, vers 892.
[6] La théorie sur laquelle s’appuie le reproche adressé à Euripide est celle d’Aristote dans la Poétique, chapitre XIII. Mais cette critique du caractère de l’Hippolyte grec, que Racine a trouvée si à propos pour justifier l’altération qu’il a fait subir à ce caractère, où l’a-t-il lue chez les anciens ? S’il ne l’y a pas lue, quel est celui de leurs commentateurs auquel il s’en est rapporté ? Nous n’avons pu découvrir la source, quelle qu’elle soit, où il a puisé. Nous savons seulement que Racine était incapable, non pas seulement de chercher à tromper ses lecteurs, mais même de parler légèrement. Dans sa Comparaison entre les deux Phèdres, p. 95 et 96, Schlegel, sans indiquer s’il croit que la critique citée par Racine ait été réellement faite dans l’antiquité, se contente d’en proposer une réfutation assez plausible : Hippolyte, quoique doué par Euripide de toutes les vertus morales, n’était pas irréprochable suivant les idées des anciens. Il avait traité Vénus avec dédain : c’était une faute.
[7] Énéide, livre VII, vers 761-769.
[8] Racine n’avait-il pas lu cette histoire d’une Aricie athénienne dans une traduction des Tableaux de Philostrate, publiée en 1615, en un volume in-folio, à Paris, chez la veuve Abel Langelier, sous ce titre : Les Images ou tableaux de platte peinture des deux Philostrates, ....mis en Français par Biaise de Vigenere ? Dans l’Annotation du tableau d’Hippolyte, au livre second, p. 311, il est dit à propos de la forêt Aricie mentionnée par Ovide : « On estime que ce lieu fut ainsi appelé d’une belle jeune demoiselle de la contrée d’Attique, nommée Aricie, de laquelle Hippolyte s’étant énamouré, l’emmena en Italie, où il l’épousa. » – Pradon, dans la préface de sa Phèdre, dit avoir tiré son épisode d’Aricie des Tableaux de Philostrate.
[9] Voyez Plutarque, Vie de Thésée, chapitre XXXI, et Pausanias, Attique, chapitre XVII. – Le roi dont Pirithoüs voulait enlever, selon Plutarque, la fille, et, selon Pausanias, la femme, s’appelait Ædonée (en grec un des noms d’Hadès ou Pluton).
[10] Diogène de Laerte, au commencement de son chapitre sur Socrate (Ve du livre II), rapporte, en citant à l’appui divers témoignages, que le philosophe passait pour aider le poète.
[11] Voyez, en tête de la tragédie d’Attila, antérieure à Phèdre de dix ans, une courte réponse de Corneille (tome VII des Œuvres, p. 105) « aux invectives, comme il les appelle, qu’on a publiées depuis quelque temps contre la Comédie. » Voyez en outre ce que M. Marty-Laveaux dit, en note (même page 105), des deux Traités de la Comédie de Nicole et du prince de Conti, dont le premier parut en 1659 et fut réimprimé dans les Essais de morale (tome III), et dont le second fut publié en 1667.
[12] Louis Racine dit que son père voulut que l’on prononçât l’Achéron, à la française ; mais que Lulli, à l’Opéra, tint à ce que l’ou dit l’Aquéron.
[13] Ce voyage entrepris par l’ordre d’Hippolyte pour chercher Thésée rappelle celui de Télémaque à la recherche d’Ulysse dans l’Odyssée. Racine a pu s’en souvenir. Mais le voyage de Théramène est plus long que celui de Télémaque. Les deux mers que sépare Corinthe ne doivent probablement pas s’entendre seulement de la mer de Crissa et de la mer Saronique, mais de la mer Ionienne et de la mer Égée. Théramène va jusqu’en Épire, où l’Achéron se perd dans le lac Acherusia, puis il visite l’Élide sur la côte occidentale du Péloponnèse, double le promontoire de Ténare au sud de la même péninsule, et de là va jusqu’à la mer Icarienne qui baigne le littoral de l’Asie Mineure.
[14] L’auteur de la Dissertation, sur les deux tragédies de Phèdre cite ainsi ce vers (p. 367) :
Et depuis quand, Seigneur, fuyez-vous la présence....
Il prétend que cette expression, la présence de ces lieux, ne peut être reçue : « Avez-vous jamais oui dire que les lieux, aient une présence ? »
[15] Var. Au tumulte pompeux d’Athènes, de la cour. (1677)
– Ici encore une faute d’impression pourrait être la première origine de la leçon définitive. L’édition de 1637, changeant l’orthographe sans égard à la quantité, porte : « d’Athènes et de la cour. »
[16] Var. Et d’ailleurs quel péril vous peut faire courir. (1677-78)
[17] Les Pallantides étaient les fils de Pallas, ou, comme l’appelle Racine au vers 330, de Pallante, fils de Pandion et frère d’Égée. Quand ils virent Thésée reconnu pour le fils d’Égée et l’héritier de la royauté d’Athènes, à laquelle ils prétendaient, ils conspirèrent contre lui et lui dressèrent une embuscade. Thésée les tailla en pièces ; et après ce meurtre, il alla a Trézène pour se faire purifier. Voyez Plutarque, Vie de Thésée, chapitre XIII ; et Pausanias, livre I, chapitre XXII.
[18] Cette Amazone, qui fut mère d’Hippolyte, se nommait Antiope, ou, suivant quelques-uns, Hippolyte. Elle était reine des Amazones. Thésée l’épousa, après sa première expédition contre ces femmes guerrières.
[19] Une note sur chacun de ces exploits, pour lesquels on peut consulter les dictionnaires mythologiques, serait ici superflue. Il est plus à propos de citer à côté des vers de Racine, comme l’ont déjà fait de précédents éditeurs, des vers d’Ovide où se trouve la même énumération des triomphes de Thésée. Notre poète les avait sans doute présents à la mémoire :
...Te, maxime Theseu,
Mirata est Marathon Cretæi sanguine tauri...
...Tellus Epidauria per te
Clavigeram vidit Vulcani occumbere prolem ;
Vidit et immitem Cephesias era Procrusten ;
Cercyonis letum vidit Cerealis Eleusin.
Occidit ille Sinis, magnis male viribus usus,
Qui poterat curvare trabes, et agebat ab alto
Ad terrain late sparsuras corpora pinus.
Tutus ad Alcathoën, Lelegeia mœnia, limes,
Composito Scirone, patet...
(Métamorphoses, livre VII, vers 433-444.)
[20] Voyez Iphigénie, vers 1281 et suivants.
[21] Péribée, qui au vers 568 de l’Ajax de Sophocle est appelée Éribée, épousa Télamon, roi de Salamine et père d’Ajax, après avoir été abandonnée par Thésée.
[22] Ariane fut abandonnée par Thésée dans l’île de Naxos. Le vers de Racine fait allusion aux plaintes célèbres d’Ariane dans Catulle.
[23] Luneau de Boisjermain et la Harpe ont remplacé abréger par arrêter, et ils donnent le vrai texte pour une variante ne se trouvant que dans la première édition (1677).
[24] L’édition de 1680 a changé ainsi ce vers :
Dans mes lâches soupirs d’autant plus misérable.
Ce n’est probablement qu’une faute de l’imprimeur.
[25] Dans la même impression on lit :
Aurais-je pour vainqueur dû chercher Aricie ?
C’est encore sans doute une erreur, et non une véritable variante.
[26] L’édition définitive (1697) porte les yeux, pour vos yeux. C’est aussi une faute évidente.
[27] Voltaire (tome V, p. 481, Dissertation sur la tragédie) dit que ces paroles, « plus convenables à un berger qu’au gouverneur d’un prince, » sont tirées du Pastor fido. Les commentateurs de Racine, Luneau de Boisjermain le premier peut-être, ont fait remarquer aussi que le même argument contre le célibat se trouve dans les Femmes savantes, acte I, scène 1. C’est Henriette qui dit à sa sœur Armande !
...Vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,
Si ma mère n’eût eu que de ces beaux côtés ;
Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie
N’ait pas vaqué toujours à la philosophie.
Les Femmes savantes ont été jouées cinq ans avant Phèdre. Toutefois il n’est pas probable que ce soit Molière, encore moins le Pastor fido, qui ait fourni à Racine la première idée de ces vers. Comme il y a un passage presque semblable dans l’Hippolyte de Gilbert, il est bien plus naturel de chercher dans sa pièce la vraie source, si l’on en veut trouver une, de l’argument de Théramène. Gilbert fait ainsi parler Achrise (acte II, scène III), lorsqu’elle s’efforce de vaincre l’insensibilité d’Hippolyte :
Dites-moi, seriez-vous du nombre des vivants,
Auriez-vous de lauriers la tête couronnée,
Si la belle Antiope eût füy l’hyménée ?
Pouvez-vous l’honorer et ne l’imiter pas ?
Il n’y a rien dans l’Hippolyte d’Euripide qui ait servi de modèle à ces vers de Gilbert et de Racine ; mais ils sont tout à fait dans le goût du tragique grec ; et l’on serait moins étonné de les rencontrer chez lui que chez notre poète, à qui l’on a reproché d’avoir cette fois abaissé le ton de la tragédie.
[28] ...Mæsta secretum occulit,
Statuitque secum ferte, quo moritur, malum.
(Sénèque, Hippolyte, vers 860 et 861.)
[29] « Soutenez-moi ; relevez ma tête ; mes membres brisés n’ont plus de force, ô mes amies. » (Euripide, Hippolyte, vers 197 et 198.)
[30] Il y a bien s’assit, au sens du présent, dans toutes les éditions publiées du vivant de l’auteur. Cette indication manque dans l’impression de 1678. Les éditeurs modernes ont remplacé s’assit par s’assied, que déjà Vangelas donne comme la seule forme régulière de la troisième personne du présent.
[31] « Ce voile sur ma tête est pesant ; écarte-le ; laisse retomber ces boucles sur mes épaules. » (Euripide, Hippolyte, vers 200 et 201.)
La Pinelière, dans son Hippolyte (acte III, scène I), a ainsi développé ce passage d’Euripide :
Qu’on ôte de mes yeux tous ces habits royaux.
Serrez ces chaînes d’or ; cachez tous ces joyaux.
Que je ne voye plus ces riches broderies,
Ces perles du Levant, toutes ces pierreries !
Non, ne me poudrez plus désormais les cheveux ;
Arrachez ces rubans, faites ce que je veux,
Et qu’au gré du zéphyre ils volent sans contrainte.
Mettez-moi ces carquois ; que sans honte et sans crainte
Je suive mon chasseur à travers ces forêts.
[32] « La voici cette brillante lumière, le voici cet air pur... C’était ici que vous demandiez instamment à venir ; et peut être allez-vous vous bâter de rentrer dans votre appartement ; vous êtes prompte à rejeter ce que vous souhaitiez ; rien ne vous cause de joie ; ce que vous avez cesse de vous plaire ; et il vous semble que vous aimez mieux ce que vous n’avez pas. » (Euripide, Hippolyte, vers 177-184.)
On retrouve les mêmes traits dans Sénèque :
...Nil idem dubiæ placet.
...Attolli jubet,
Iterumque poni corpus ; et solvi comas
Rursusque fingi : semper impatiens sui,
Mutatur habitus...
(Vers 365-373.)
Robert Garnier a ainsi rendu ce passage :
Rien ne lui saurait plaire : elle s’assied dolente,
Puis elle se relève, ou se couche inconstante...
Tantôt elle pâlit, et tout soudainement
La couleur lui rehausse...
Et la Pinelière (acte II, scène II) :
Elle quitte un discours, et puis elle l’achève ;
Tantôt elle s’assied, tantôt elle se lève ;
Tout plaît et tout déplaît à ses esprits confus ;
Elle veut une chose, et puis ne la veut plus.
[33] « Hélas ! hélas ! comment pourrai-je me désaltérer dans les eaux pures d’une source fraîche ? Quand me reposerai-je couchée sous les peupliers, au milieu d’une prairie ombreuse ?... Conduisez-moi sur la montagne... Ô Diane, souveraine de Limna, où, sur les bords de la mer, on exerce les bruyants coursiers, que ne suis-je au milieu de tes plaines, domptant les chevaux venètes ! » (Euripide, Hippolyte, vers 207-231.)
Ovide a imité ce passage d’Euripide dans l’Épître de Phèdre à Hippolyte, aux vers 37-46, dont les deux derniers ont une assez grande analogie avec ceux de Racine :
Sæpe juvat versare leves in pulvere currus,
Torquentem frenis ora sequacis equi.
[34] « Malheureuse, qu’ai-je fait ? où ai-je laissé égarer ma raison ? Le délire s’est emparé de moi, la malédiction d’une divinité m’a perdue !... Mère, cache encore mon visage ; je rougis de ce que je viens de te dire. Cache-moi ; les larmes tombent de mes jeux, et je sens que la honte trouble mes regards. » (Euripide, Hippolyte, vers 239-246.)
[35] Dans Euripide également, le chœur ayant dit en parlant de Phèdre (vers 274) :
« Comme son corps languit et s’est amaigri ! »
la Nourrice répond (vers 275) :
« Comment s’en étonner ? voici le troisième jour qu’elle reste sans nourriture. »
C’est ce que le chœur lui-même dit un peu plus haut en ces termes plus ornés.
« J’entends dire que depuis trois jours les dons de Cérès n’ont pas approché de sa bouche, et qu’elle s’est abstenue de toute nourriture, parce que, dévorée d’une secrète douleur, elle veut marcher au ternie d’une vie misérable. » (Vers 134-139.)
L’expression de Sénèque est plus brève :
…Nulla jam Cereris subit
Cura, aut salutis...
(Vers 373 et 374.)
Si l’on a pu reprocher à Racine une expression trop poétique, Robert Garnier échappe à la même critique :
Elle ne mange point : la viande aperçue,
Devant que d’y goûter, lui offense la vue.
Le sommeil qui nourrit tout ce qui vit au monde,
Ne peut clore ses yeux.
[36] « La nourrice. Reste donc plus sourde à mes prières que les flots de la mer, mais sache bien que, si tu meurs, tu trahis tes enfants, qui n’auront point l’héritage paternel, j’en jure par cette reine guerrière, par cette Amazone, qui a mis au monde, pour devenir le maître de tes enfants, ce bâtard, tout plein de l’orgueil d’un fils légitime (tu sais qui je veux dire), cet Hippolyte. – Phèdre. Grands Dieux ! – La nourrice. Est-ce que celte parole te touche ? – Phèdre. Quel coup tu m’as porté, ma mère ! Je t’en conjure au nom des Dieux, ne prononce plus ce nom. – La nourrice. Eh bien ! c’est parler sagement. Mais, malgré cette sagesse, tu refuses de veiller aux intérêts de tes enfants, et de te conserver. » (Euripide, Hippolyte, vers 304-314.)
[37] On plaçait généralement les Amazones en Asie Mineure, aux rives du Thermodon, mais on les regardait comme originaires de Scythie.
[38] « La nourrice. Ô ma fille, tes mains sont pures de sang. – Phèdre. Oui, mes mains sont pures ; mais sur mon âme il y a une souillure. » (Euripide, Hippolyte, vers 316 et 317.)
[39] Noctes atque dies patet atri janua Ditis.
(Virgile, Énéide, livre VI, vers 127.)
[40] « Phèdre. Que fais-tu ? Quelle est cette violence ? Tu t’attaches à ma main. – La nourrice. Je ne cesserai point d’embrasser tes genoux. – Phèdre. Malheur à toi, hélas ! malheur, si je dis ce que tu veux savoir. – La nourrice. Et quel plus grand malheur peut-il m’arriver que de te perdre ? » (Euripide, Hippolyte, vers 325-328.)
[41] « La nourrice. Je veux me taire ; je te laisse parler. » (Euripide, Hippolyte, vers 336.)
[42] On croit trouver le germe de ce vers dans un passage de l’Hippolyte de Robert Garnier :
Qu’attendé-je, sinon que je soy’ massacrée
Comme fut Antiope, ou qu’il me laisse au bord
Où il laissa ma sœur, pour y avoir la mort ?
[43] « Phèdre. Mère infortunée, de quel amour tu as brûlé ! – La nourrice. Pour ce taureau, ô ma fille ? est-ce la ce que tu veux dire ? – Phèdre. Et toi, malheureuse sœur, amante de Bacchus. – La nourrice. Ma fille, que fais-tu ? Tu révèles la honte de toute ta famille. – Phèdre. Et moi, qui suis la troisième malheureuse, dans quel abîme je suis tombée ! » (Euripide, Hippolyte, vers 337-341.)
C’est moins, comme l’a fait remarquer Louis Racine, ce dernier vers d’Euripide qui a été ainsi traduit par Racine :
Je péris la dernière et la plus misérable,
que le vers 891 de d’Antigone de Sophocle.
On peut comparer aussi avec tout ce passage de la tragédie les vers 55-62 de l’Épître de Phèdre à Hippolyte dans Ovide.
[44] « La nourrice. Que dis-tu ? Aimes-tu donc quelque mortel, ma fille ? – Phèdre. Quel qu’il soit, ce fils de l’Amazone... – La nourrice. Qui donc ? Hippolyte ? – Phèdre. C’est de ta bouche, non de la mienne, que ce nom est sorti. » (Euripide, Hippolyte, vers 350-352.)
Dans l’Hippolyte de Gilbert (acte I, scène II), Achrise, comme Œnone dans la tragédie de Racine, supplie Phèdre de ne plus cacher son douloureux secret. Phèdre lui répond :
Malgré moi ta voix me sollicite.
Je révère le fils d’Antiope. Achr. Hippolyte !
Phèd. Ne m’en accuse point ; c’est toi qui l’as nommé.
Il se peut que Racine, comme on l’a dit soin eut, ait emprunté ce dernier hémistiche à Gilbert. Cependant le vers de Gilbert se rapproche assez du texte grec, pour qu’il soit permis de supposer aussi que Racine s’est rencontré avec lui dans une même traduction.
[45] Il y a un mouvement semblable dans ces vers du chœur de l’Hippolyte d’Euripide, quoiqu’il n’y soit pis question du même voyage de Phèdre : « Ô vaisseau de Crète aux blanches ailes, qui pour un funeste hymen as de son heureuse demeure jusque sur ces bords amené ma reine, a travers les flots grondants de la mer ! « (Vers 749-753.)
[46] C’est ce que raconte Vénus elle-même dans le prologue d’Euripide : « Un jour qu’Hippolyte quitta la maison de Pitthée, pour venir dans la terre de Pandion assister au spectacle et aux cérémonies augustes des mystères, la noble épouse de son père, Phèdre, le vit, et un violent amour s’empara de son cœur par ma volonté. » (Euripide, Hippolyte, vers 24-28.)
[47] Louis Racine dit avec raison que ce passage « est imité de l’ode fameuse de Sapho. » Il semble même que Racine se soit particulièrement inspiré de deux des stances de la traduction qu’en a donnée Boileau dans le chapitre VIII du Traité du Sublime de Longin, et qui fut, on le sait, publiée trois ans avant Phèdre :
Je sens de veine en veine une subtile flamme
Courir par tout mon corps sitôt que je te vois ;
Et dans les doux transports où s’égare mon âme,
Je ne saurais trouver de langue ni de voix.
Un nuage confus se répand sur ma vue ;
Je n’entends plus ; je tombe en de douces langueurs ;
Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue,
Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs.
Luneau de Boisjermain fait cette remarque assez frappante que l’heureux artifice qu’on a trouvé dans les désinences sourdes de ces vers de Boileau :
Un nuage confus se répand sur ma vue ;
Je n’entends plus...
est reproduit dans les vers de Racine :
...Je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus...
[48] Fatale miseræ matris agnosco malum.
(Sénèque, Hippolyte, vers 113.)
Dans le même passage de la tragédie de Sénèque (vers 124-126), Phèdre explique les motifs de cette haine de Vénus :
Stirpem perosa Solis invisi Venus,
Per nos catenas vindicat Martis sui
Suasque...
Pasiphaé, mère de Phèdre, était fille du Soleil et de Créta, ou de Perséis, suivant d’autres. Or c’était le Soleil qui avait découvert et dénoncé à Vulcain l’adultère de Mars et de Vénus.
[49] Il est parlé de ce temple dans le prologue d’Euripide (vers 29-33) : « Avant d’arriver dans ce pays de Trézène, Phèdre sur le rocher même de Pallas, en un lieu d’où l’on aperçoit la terre où nous sommes, fit bâtir un temple à Vénus, monument de son amour pour un absent ; et cet édifice qu’elle consacra à la Déesse, c’est du nom d’Hippolyte qu’elle le nomma pour tous les temps à venir. » C’est ce qu’on lit aussi dans Diodore, livre IV. Le scoliaste d’Homère dit sur le vers 320 du XIe livre de l’Odyssée que le temple de Vénus bâti à Athènes par Phèdre s’appelait encore l’Hippolyteum.
[50] Louis Racine rapproche de ces vers ceux de Virgile (livre IV, vers 63 et suivants), qui semblent en effet les avoir inspirés :
...Pecudumque reclusis
Pectoribus inhians, spirantia consulit exta.
Ileu vatum iguaræ mentes ! Quid vota furentem,
Quid delubra juvant ?...
[51] Geoffroy, comme ailleurs déjà, a remplacé au pied par aux pieds.
[52] Ce vers a été omis dans l’édition de 1678.
[53] Toute entière est l’orthographe de toutes les éditions publiées du vivant de Racine.
[54] In me tota ruens Venus.
(Horace, ode XIX du livre I, vers 9.)
[55] Dans la scène II de l’acte I de la tragédie de Gilbert, dont nous avons tout à l’heure cité un passage, se trouvent ces vers, qui ne sont pas, pour la pensée du moins, sans quelque apport avec ceux de Racine :
Achr. Ah ! que m’avez-vous dit ? Phéd. Ce que je devais taire.
Tu m’as fait déclarer ce dangereux mystère,
Et d’un nouvel amour découvrir le flambeau
Qui luira seulement pour me mettre au tombeau.
[56] Racine a dit au vers 2 d’Andromaque :
Ma fortune va prendre une face nouvelle.
[57] Dans les anciennes éditions, rien n’indique comment ce vers doit être coupé. Madame y est entre deux virgules.
[58] Schlegel dit, dans sa Comparaison des deux Phèdres (p. 21) : « Si c’était un inceste auparavant, c’en est certainement encore un ; si ce n’était point un inceste, ce n’était donc qu’une passion vulgairement vicieuse, qui ne méritait pas d’être annoncée comme l’effet du courroux céleste, ni surtout de faire le sujet d’une tragédie. » Mais il ne faut pas chercher la raison dans les sophismes complaisants d’Œnone. Phèdre parle tout autrement qu’elle :
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
La scène de la déclaration (acte II, scène V) est pleine de l’horreur qu’inspire à Phèdre son inceste, même depuis qu’elle a appris la mort de Thésée.
[59] Thésée explique lui-même plus bas (vers 957-970) quelle avait été cette prétendue descente aux enfers avec Pirithoüs. Racine a mis à profit en même temps les traditions de l’histoire et celles de la fable.
[60] Virgile a dit (Énéide, livre VI, vers 425) :
Evaditque celer ripam irremeabilis undæ.
[61] Pallante ou Pallas, père d’Aricie et de tous les Pallantides, de même qu’Égée, père de Thésée, descendait d’Érechthée, fils de la Terre.
[62] Plutarque, dans la Vie de Thésée (chapitre III), porte à cinquante le nombre des Pallantides.
[63] Subligny, qui connaît si mal la langue poétique, ne manque pas de blâmer cette heureuse hardiesse : « De bonne foi dit-il, ce n’est pas là parler français ; on se plaint de la rigueur d’une loi, et l’on ne plaint point sa rigueur. »
[64] Pitthée, père d’Éthra qui fut l’épouse d’Égée et la mère de Thésée, était roi de Trézène. Il était regardé comme le plus sage des hommes de son temps. Voyez plus bas, vers 1103.
[65] Dans les éditions de Luneau de Boisjermain, de la Harpe, de Geoffroy et de M. Aimé-Martin on indique comme variante :
Qui m’a, sans hésiter, reconnu pour son roi.
Nous n’avons pas rencontré cette leçon.
[66] C’est ce qu’exprime la Nourrice, dans Euripide, quand elle donne à Hippolyte le nom de νόθος (vers 309).
[67] C’est-à-dire d’Érechthée.
[68] Louis Racine, dans ses Remarques sur Phèdre, dit à propos de ce vers : « Les Pallantides, au rapport de Plutarque (Vie de Thésée, chapitre XIII), prétendirent qu’Égée était un fils supposé de Pandion II ; et Tzétzès, sur Lycophron (vers 494), dit que Thésée fut adopté par Pandion. C’est sur l’autorité de Tzétzès que me paraît fondé ce vers, si étonnant dans la bouche d’Hippolyte :
L’adoption le mit entre les mains d’Égée.
...Il résulte de cette adoption que Thésée avait raison de craindre que la sœur des Pallantides n’eût un rejeton, puisque n’étant fils de Pandion que par adoption, le sceptre appartenait aux descendants de Pallante, plutôt qu’à lui. »
[69] Ce passage rappelle les fameux vers de Lucrèce (1 et 2 du livre II) :
Suave mari magno, turbantibus æquora ventis,
E teira magnum alterius spectare laborem.
[70] Dans cette admirable scène, Racine doit beaucoup, non plus à Euripide, qui n’a rien de semblable, mais à Sénèque. Racine nomme Sénèque dans un passage de sa préface ; mais il ne dit pas (le P. Brumoy le lui a reproché, Théâtre des Grecs, tome II, p. 314) qu’il a puisé dans la pièce du poète latin quelques-unes de ses plus belles inspirations.
[71] Dans l’édition de Luneau de Boisjermain, etc. : « PHÈDRE, à Œnone, dans le fond du théâtre. »
[72] L’édition d’Amsterdam de 1698 porte veux, au lieu de viens.
[73] L’édition de 1713, celle de Cologne de 1723, plus tard Luneau de Boisjermain et les éditeurs qui l’ont suivi ont mis tout autre ; mais il y a bien toute, au féminin, dans toutes les éditions publiées du vivant de Racine.
[74] Phèdre, dans l’Hippolyte de Sénèque (vers 219-221), dit à la Nourrice :
Reditusque nullos metuo. Non unquam amplius
Convexa tetigit supera, qui mersus semel
Adiit silentem nocte perpetua domum.
Mais Racine, pour tout ce passage, a surtout fait un emprunt direct à la seine de la déclaration dans le poète latin (vers 623-626) :
Phæd. Miserere viduæ. Hipp. Summus hoc omen Deus
Avertat : aderit sospes actutum parens.
Phæd. Regni tenacis dominus et tacitæ Stygis
Nullam relictos facit ad Superos viam.
[75] Les anciennes éditions n’indiquent pas où la phrase doit être coupée. Seigneur est entre deux virgules.
[76] Hipp. Amore nempe Thesei casto furis.
(Sénèque, Hippolyte, vers 645.)
[77] On nomme quatre filles de Minos ; mais Racine, dans ce qu’il fait dire ici à Phèdre, paraît n’avoir en vue qu’elle-même et sa sœur Ariane.
[78] Tout cet endroit est imité de Sénèque (vers 646-662) :
Phæd. Hippolyte, sic est : Thesei vultus amo
Illos priores, quos tulit quondam puer,
Quum prima puras barbu signaret genas,
Monstrique cæcam Gnossii vidit domum,
Et longa curva fila collegit via.
Quis tum ille fulsit !...
Tuæve Phœbes vultus (inerat), aut Phœbi mei,
Tuusve potins : talis, en talis fuit,
Quum placuit hosti...
Est genitor in te totus ; et torvæ tamen
Pars aliqua matris miscet ex æquo decus.
In ore Graïo Scythicus apparet rigor.
Si cum parente Creticum intrasses fretum,
Tibi fila potius nostra nevisset soror.
– Voici comment Robert Garnier, avant Racine, a imité Sénèque :
hipp. C’est l’amour de Thésée qui vous tourmente ainsi.
Phèd. Hélas ! voire, Hippolyte, hélas ! c’est mon souci.
J’ai, misérable, j’ai la poitrine embrasée
De l’amour que je porte aux beautés de Thésée,
Telles qu’il les avait lorsque bien jeune encor
Son menton cotonnait d’une frisure d’or,
Quand il vit étranger la maison Dédalique
De l’homme mi-taureau, notre monstre Crétique.
Hélas ! que semblait-il ? Ses cheveux crêpelés
Comme soye retorse en petits annelets
Lui blondissaient la tête...
Sa taille belle et droite, avec ce teint divin.
Ressemblait, égalée, à celle d’Apollin,
À celle de Diane, et surtout à la vôtre...
Si nous vous eussions vu, quand votre géniteur
Vint en l’île de Crète, Ariadne ma sœur
Vous eût plutôt que lui de son fil salutaire
Retiré des prisons du roi Minos, mon père.
[79] L’idée de cette lutte de la passion et des remords se trouve en germe dans Euripide, où l’ont prise Sénèque et Racine : « Nous savons, nous connaissons le bien, nous n’avons pas la force de l’accomplir... Quand je me sentis blessée par l’amour, j’examinai comment je pourrais supporter le mieux un tel mal. » (Hyppolyte, vers 381-394.)
[80] Dans la tragédie de Sénèque, l’épée d’Hippolyte reste de même entre les mains de Phèdre, et doit servir de témoignage contre lui. Mais ce n’est point, comme chez Racine, Phèdre qui cherche à s’emparer de cette épée : Hippolyte la tire pour tuer Phèdre, puis la lui abandonne, parce qu’elle a été souillée par son contact impur :
Hipp. Stringatur ensis ; mérita supplicia exigat...
Phèd. Hippolyte. nunc me compotem voti facis.
Sanas furentem ; majus hoc voto meo est,
Salvo ut pudore manibus immoriar tuis.
Hipp. Abscede, vive, ne quid exores ; et hic
Contactus ensis deserat castum latus.
(Vers 706-714.)
Ce dernier vers peut être surtout rapproché des vers 750-752 de Racine :
Il suffit que ma main l’ait une fois touchée.
Je l’ai rendue horrible à ses yeux inhumains ;
Et ce fer malheureux profanerait ses mains.
Dans la tragédie de la Pinelière (acte III, scène III), Hippolyte dit :
Et jetons dans ces lieux désormais cette lame
Qu’a touchée aujourd’hui cette impudique femme.
[81] Louis Racine a rapproché de ce vers les paroles de Phèdre dans Ovide (Épître de Phèdre à Hippolyte, vers 155) :
Depuduit, profugusque pudor sua signa reliquit.
[82] Ce dialogue est imité de Sénèque (vers 229-243) :
Nutr. Quis hujus animum flectet intractabilem ?
Exosus omne feminæ nomen fugit ;...
...Genus Amazonium scias...
Phæd. ...Precibus haud vinci potest ?
Nutr. Ferus est. Phæd. Amore didicimus vinci feros...
Nutr. Genus omne profugit. Phæd. Pellicis careo metu.
Gilbert (acte III, scène I) s’est inspiré de ces vers de Sénèque ; mais il en a détruit toute la force, en intervertissant l’ordre du dialogue entre Phèdre et sa confidente, faute que Racine ne pouvait commettre :
Phèd. Pour toutes sa froideur, sa haine sont égales.
Achr. Tant mieux, vous n’aurez point à craindre de rivales.
Cependant le choix de ce dernier mot pour traduire pellicis pourrait faire penser que Racine avait sous les yeux les vers de Gilbert.
[83] Phèdre, dans Sénèque (vers 617 et 618), dit à Hippolyte :
Mandata recipe sceptra ; me famulam accipe.
Te imperia regere, me decet jussa exsequi.
Le P. Brumoy (Théâtre des Grecs, tome I, p. 393) dit qu’il y a dans ces vers « un trait inimitable, dont Racine a formé une scène entière. »
[84] Sinu receptam, supplicem ac servam tege.
(ibidem, vers 622.)
[85] C’est ainsi que dans le livre IV de l’Énéide (vers 423) Didon charge sa sœur de fléchir Énée :
Sola viri molles aditus et tempora noras.
[86] Tel est le texte de l’édition de 1697. Les précédentes donnent ainsi ce vers :
Presse, pleure, gémis ; peins-lui Phèdre mourante.
Entre les éditions postérieures à 1697 nous ne connaissons que celles de 1702, de 1713 et de 1723 (Cologne) qui portent plains. Toutes les autres que nous avons pu voir ont adopté peins.
[87] Dans le grand monologue de Médée, acte I, scène IV, vers 201-206 de la tragédie de ce nom, Corneille avait dit :
Souverains protecteurs des lois de l’hyménée...
Voyez de quel mépris vous traite son parjure,
Et m’aidez à venger cette commune injure.
Voltaire, dans le commentaire de Médée, fait cette remarque : « Racine a imité ce vers dans Phèdre... mais dans Corneille, il n’est qu’une beauté de poésie ; dans Racine, il est une beauté de sentiment. » Nous avouons qu’en comparant les deux passages, cette distinction nous échappe.
[88] Ici encore la coupe du vers est indécise. Dans les anciennes éditions Œnone est entre deux virgules.
[89] Mêmes reproches de Phèdre à la Nourrice dans Euripide : « N’avais-je pas prévu ce que tu voulais ? Ne t’avais-je pas dit de te taire sur ce qui fait maintenant mon malheur ? Mais tu n’as pu te résigner au silence ; aussi mourrons-nous déshonorées. » (Vers 682-684.)
[90] Racine met ici dans la bouche de Phèdre ce qu’Euripide fait dire à Hippolyte lui-même. Il menace la Nourrice en ces termes : « Quand je viendrai avec mon père, j’observerai de quel front tu oseras l’aborder, toi et ta maîtresse ; et j’apprendrai à connaître ton audace. » (Vers 657-659.)
[91] Usque adeone mori miserum est ?...
(Virgile, Énéide, livre XII, vers 646.)
[92] Phèdre avait deux fils : Acamas et Démophon.
[93] Quelques auteurs comptent, aux temps héroïques, deux Minos. Ils font le plus ancien fils de Jupiter et d’Europe, et, après sa mort, juge aux enfers ; l’autre, dont Phèdre était fille, petit-fils du premier. Racine, de même qu’Homère et Hésiode, n’en connaît qu’un ; voyez ci-après, vers 1278 et suivants.
[94] N’ose est dans toutes les anciennes impressions. Quelques éditeurs récents, à partir de Luneau de Boisjermain, y ont substitué le pluriel n’osent.
[95] On reconnaîtra plusieurs des idées de ce morceau dans ces paroles de la Phèdre d’Euripide : « Lorsque je vis que tous ces efforts pour triompher de Vénus étaient vains, mourir me parut la résolution que je devais préférer... Je hais ces femmes sages dans leurs discours, qui cachent au fond de leur âme une criminelle audace. Comment, ô puissante déesse de Chypre, comment osent-elles regarder en face leurs époux ? Comment ne tremblent-elles pas que les ténèbres leurs complices, que les voûtes de leur demeure ne prennent un jour la parole ? Oui, mes amies (Phèdre s’adresse au chœur), c’est là ce qui décide ma mort : je ne veux point, surprise dans mon crime, couvrir de honte mon époux, et les enfants à qui j’ai donné la vie ; mais plutôt que dans l’illustre Athènes ils marchent le front haut, en hommes libres, leur mère ayant tout fait pour épargner leur gloire. Car, quelque fierté qu’un homme ait dans le cœur, il se sent avili comme un esclave, quand il a conscience du déshonneur d’une mère ou d’un père. » (Vers 401-426.)
Dans ces vers d’Euripide, imités par Racine, il y a un passage qu’Euripide lui-même a imité de l’Agamemnon d’Eschyle (vers 37 et 38) : « Cette demeure elle-même, si elle avait eu une voix, aurait parlé clairement. »
[96] Il y a bien appuyez dans toutes les éditions anciennes. Luneau de Boisjermain et ceux qui sont venus après lui donnent appuyiez.
[97] La Nourrice dit semblablement dans Sénèque (vers 719-724) :
...Quid segnis stupes ?
Regeramus ipsi crimen, atque ultro impiam
Venerem arguamus...
Ausæ priores simus, an passæ nefas,
Secreta quum sit culpa, quis testis sciet ?
[98] « Car si votre vie n’était pas accablée d’une telle douleur, si vous étiez plus maîtresse de votre passion, jamais pour servir votre amour et vos plaisirs je ne vous pousserais à de telles résolutions. Mais à cette heure il s’agit d’engager un grand combat pour sauver vos jours ; et ce que j’ose est excusable. » (Euripide, Hippolyte, vers 494-498.)
[99] Dans l’édition de 1736 et dans celles de la Harpe et de M. Aimé-Martin ce vers se lit ainsi :
Madame ; et pour sauver votre honneur combattu.
[100] Dans sa Satire X, composée quinze ans après Phèdre, Boileau s’est élevé contre ces opéras où l’on apprend
...Qu’à l’Amour, comme au seul dieu suprême,
On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même.
(Vers 137 et 138.)
N’avait-il pas quelque souvenir du vers de Racine, sans bien se rappeler où il l’avait vu ? On ne peut supposer qu’il ait été dans sa pensée d’en faire la critique.
[101] Thésée, dans Euripide, s’étonne de ne trouver personne pour saluer son arrivée : « Cette maison ne daigne point, après m’avoir ouvert ses portes, me saluer de l’accueil joyeux que l’on doit à celui qui revient de consulter les dieux. » (Vers 788 et 789.)
[102] Plutarque dans sa Vie de Thésée (chapitre XXXI) raconte que le roi des Molosses, Ædonée, donna Pirithoüs à dévorer à son chien Cerbère.
[103] Var. J’ai su tromperies yeux par qui j’étais gardé. (1677-87.)
– Les éditions de 1702, de 1713 et de 1723 reproduisent le texte de 1697, que nous avons suivi ; mais celles de 1698 (Amsterdam), de 1736, de Luneau de Boisjermain, la Harpe, Geoffroy, etc., ont substitué à de le par des premières impressions.
[104] Var. Je ne sais où je vas, je ne sais où je suis. (1677-80)
– Thésée dit aussi dans Euripide : « Où fuir le malheur qui m’accable ? C’en est fait de moi, je suis perdu... Hippolyte a osé profaner ma couche, sans respecter, dans sa violence, le regard auguste de Jupiter. » (Vers 875-884.)
[105] Virgile a dit semblablement de l’épée, présent d’Égée, et dont s’arme Didon, prête à se frapper (Énéide, livre IV, vers 647) :
...Non hos quæsitum munus in usus.
[106] Les éditions de 1750 (Amsterdam), de 1768 et de 1807 ont ainsi changé ce vers :
Phèdre épargnait toujours un père déplorable.
D’après la note de Luneau de Boisjermain (1768), reproduite par la Harpe (1807), on croirait que plutôt, qui est le texte de toutes les anciennes éditions, ne se trouve que dans la première de toutes (1677).
[107] Subligny, dans sa Dissertation sur les tragédies de Phèdre et Hippolyte, parle de cette scène comme de la troisième. Il y avait évidemment, avant l’impression de la pièce, une autre scène II de l’acte IV, que Racine a supprimée, et qui est ainsi critiquée dans la Dissertation (p. 389) : « Thésée... aussi persuadé de ce crime supposé, que s’il s’était commis à ses yeux, s’amuse à faire des exclamations sur son énormité, au lieu d’aller chercher auprès de Phèdre ou d’Œnone des preuves plus solides de cette affreuse accusation. » La scène retranchée était donc un monologue de Thésée. C’est ce qui n’avait été jusqu’ici, nous le croyons, signalé par aucun éditeur de Racine.
[108] La même Dissertation de Subligny (p. 390) nous apprend que Racine avait d’abord écrit :
Mais le voici, grands Dieux ! à ce chaste maintien...
vers que le critique traite de ridicule et de gaulais. « Et le parterre, ajoute-t-il, d’une commune voix fait le second vers en raillant, et dit d’un style burlesque :
Ne le prendrait-on pas pour un homme de bien ?
Mais non... notre auteur a corrigé ce vers dans les dernières représentations, et au lieu de chaste... il a mis noble, et a toujours laissé ce maintien qui devait être changé plutôt que l’autre. » Ce ne fut pas sans doute pour éviter un misérable quolibet que Racine lit à ce vers le changement noté par Subligny. Nous ne voyons pas pourquoi la raillerie ne se serait pas appliquée aussi bien à la variante qu’a la première leçon. Le sonnet contre Phèdre nous paraît confirmer d’ailleurs par sa parodie la leçon du chaste maintien :
Hippolyte la hait presque autant qu’elle l’aime ;
Rien ne change son air et son chaste maintien.
[109] La même pensée se trouve dans l’Hippolyte d’Euripide, mais avec une expression très différente : « Ah ! il faudrait que les mortels pussent à des signes certains reconnaître les cœurs amis, discerner l’amitié sincère et celle qui ne l’est pas. Il faudrait que tous les hommes eussent deux langages, celui de la loyauté, et celui dont il se faut défier, afin que la voix des volontés injustes fût convaincue par la voix de la justice, et que nous ne fussions pas abusés. » (Vers 923-929.)
– Sénèque, à l’imitation d’Euripide, fait dire à Thésée :
O vita fallax ! abditos sensus geris,
Animisque pulchram turpibus faciem induis.
« Imposture du monde ! Tu nous caches les vrais sentiments, tu mets sur la laideur de l’âme le masque d’une noble physionomie. » (Vers 918 et 919.)
Ce n’est pas seulement dans Hippolyte que les imitateurs d’Euripide ont pu rencontrer cette pensée. Elle est exprimée aussi dans sa tragédie de Médée ; et la peut-être se rapproche-t-elle plus encore des vers de Racine par la forme que le poète lui a donnée : « Ô Jupiter, pourquoi as-tu donné aux hommes des moyens assurés de reconnaître l’or de mauvais aloi, et n’as-tu imprimé sur la personne humaine aucun caractère qui puisse faire discerner le méchant ? » (Vers 514-517.)
[110] Var. Jusqu’au lit de ton père a porté ta fureur. (1677-87)
[111] « Viens, après t’être souillé d’infamie, présenter ici ton visage à ton père. » (Euripide, Hippolyte, vers 944 et 945.)
[112] « Fuis au plus vite de cette terre, exile-toi ; et n’approche plus ni d’Athènes bâtie par les Dieux, ni des frontières de ce pays que mon sceptre gouverne. » (Euripide, Hippolyte, vers 971-973.)
[113] « Mais, ô Neptune, mon père, toi qui as promis d’exaucer trois de mes vœux, fais du moins qu’un d’eux s’accomplisse par la perte de mon fils ; que cette journée ne le laisse pas échapper, si tu as accordé une vraie puissance à mes prières. » (Ibidem, vers 885-888.)
– Mais Racine a suivi Sénèque de plus près encore :
...Genitor æquoreus dedit
Ut vota prono trina concipiam deo...
En, perage donum triste, regnator freti.
Non cernat ulrra lucidum Hippolytus diem...
Fer abominandam nunc opem nato, parens.
Nunquam supremum numinis munus tui
Consumeremus, magna ni premerent mala.
Inter profunda Tartara et Ditem horridum...
Voto peperci : redde nunc pactam fidem,
Genitor...
(Vers 942-954.)
– C’est également Sénèque que Robert Garnier a imité :
Tu sais qu’étant là-bas aux pieds de Rhadamante,
Prisonnier de Pluton sous la voûte relente,
J’ai toujours épargné ce vœu que langoureux
Je dépens aujourd’hui contre ce malheureux.
[114] Var. Avares du secours que j’attends de tes soins. (1677-87)
[115] « Je demeure interdit, frappé d’étonnement par tes paroles. » (Euripide, Hippolyte, vers 932 et 933.)
[116] Dans la réponse d’Hippolyte à son père, Euripide indique une semblable réticence : « Si Phèdre s’est donné la mort par crainte, je ne sais : il ne m’est pas permis d’en dire davantage. » (Vers 1030 et 1031.)
– Un vers de Gilbert (acte III, scène I) a une légère ressemblance de forme avec un des vers de Racine. C’est Achrise qui parle :
Possible qu’avec vous le même soin le touche,
Qu’un respect paternel lui fait fermer la bouche.
[117] Voyez le vers 1190 de Mithridate.
[118] Pitthée, roi de Trézène, était l’aïeul maternel de Thésée : voyez ci-dessus, vers 478, et la note sur ce vers. Thésée avait été élevé par lui, et lui avait lui-même confié l’éducation d’Hippolyte. Dans le prologue d’Euripide (vers 11), Hippolyte est nommé le disciple du vertueux Pitthée.
[119] « S’il est un crime dont je sois éloigné, c’est celui dont tu crois me convaincre : aucun amour jusqu’ici n’a souillé ma pureté. » (Euripide, Hippolyte, vers 1000 et 1001.)
[120] Le Dictionnaire de l’Académie de 1694 définit le mot chagrin : « fâcheuse, mauvaise humeur. » C’est ici plus particulièrement, « humeur sévère, austère. »
[121] Thésée, dans l’Hippolyte de Gilbert (acte IV, scène III), retourne aussi contre son fils ce que celui-ci vient de dire pour sa justification :
Hipp. Comparez seulement mes mœurs avec ce vice
Pour juger du présent rappelez le passé.
Thés. Il est vrai, tu menais une vie exemplaire.
Mais tu pensais par là couvrir ton adultère.
Il y a là quelque ressemblance avec les paroles du Thésée de Racine. On ne trouve rien de pareil dans Euripide ni dans Sénèque.
[122] « Maintenant je te le jure par Jupiter qui entend les serments, et par le sol de cette terre, jamais je n’ai profané ton hymen. » (Euripide, Hippolyte, vers 1023 et 1024.)
[123] « Hipp. Hélas ! que veux-tu faire ? Sans attendre que le temps témoigne pour nous, tu me chasses de cette terre ? – Thés. Oui, et si je pouvais, ce serait par delà les mers et les bornes atlantiques : tant je hais ta présence ! » (Ibidem, vers 1049-1052.)
[124] « Hipp. Où chercher un refuge dans mon malheur ? Quels hôtes m’ouvriront leurs maisons, lorsque j’irai en exil chargé d’un tel crime ? – Thés. Ceux qui aiment à protéger les adultères, les lâches complices des crimes domestiques. » (Euripide, Hippolyte, vers 1064-1067.)
– On peut aussi rapprocher des vers de Racine les vers suivants dans lesquels Gilbert (acte IV, scène III) a imité ce passage d’Euripide. Mais il n’y a pas lieu de croire que Racine y ait cherché un emprunt qu’il a dû faire directement au poète grec :
Hipp. Si je suis exilé pour un crime si noir,
Hélas ! qui des mortels me voudra recevoir ?
Je serai redoutable à toutes les familles :
Aux frères pour leurs sœurs, aux pères pour leurs filles.
Où sera ma retraite en sortant de ces lieux ?
Thés. Va chez les scélérats, les ennemis des Dieux,
Chez les monstres cruels, assassins de leurs mères,
Chez ceux qui sont souillés de meurtres, d’adultères :
Ceux-là te recevront.
[125] « Thés. Esclaves, ne l’arracherez-vous pas d’ici ? N’entendez-vous pas que depuis longtemps mes ordres l’ont banni ?... – Hipp. Que ce soit toi-même, si tu le veux, dont le bras me chasse de cette terre. – Thés. Je vais le faire, si tune m’obéis pas. » (Euripide, Hippolyte, vers 1082-1086.)
[126] Sénèque a peint aussi le trouble involontaire de Thésée, alors même qu’il croit encore son fils coupable :
...O nimium potens,
Quanto parentes sanguinis vinclo tenes,
Natura ! quam te culimus inviti quoque !
(Vers 1114-1116.)
[127] Il y a également dans l’Hippolyte de Gilbert une scène, la seconde de l’acte V, où Phèdre vient demander à Thésée la grâce d’Hippolyte. Plus bas, la scène VI de l’acte IV de Racine peut être comparée aussi à la scène I de l’acte V de Gilbert, où Phèdre adresse de sévères reproches à Achrise. Il est permis de ne pas regarder ces rencontres comme fortuites, surtout lorsqu’on voit Achrise (nous le dirons à la note du vers 1466) se faire justice à elle-même par une mort toute semblable à celle d’Œnone.
[128] Ce vers semble une traduction d’un vers d’Euripide ; mais le poète grec l’a mis dans la bouche d’Hippolyte : « J’ai entendu les éclats de votre voix, mon père, et je me hâte de venir. » (Vers 900.)
[129] Plusieurs éditeurs modernes ont remplacé au pied par aux pieds.
[130] Les éditions imprimées du virant de Racine ont : Les a-t-on vu, et non vus. C’était au dix-septième siècle un usage assez ordinaire de laisser sans accord le participe suivi d’un infinitif.
[131] Dans les éditions de 1677 et de 1678, il y a une virgule seulement à la fin de ce vers ; un point après le vers suivant. Dans les autres éditions anciennes, le vers 1241 est entre deux virgules. L’édition de 1702 met un point après le vers 1244.
[132] Racine s’est approprié, mais en les transformant avec un art admirable, quelques idées dont le germe se trouve dans Sénèque. C’est la Nourrice, dans la tragédie latine, qui rappelle à Phèdre combien son crime trouve de juges parmi les Dieux ses ancêtres, Minos, le Soleil, Jupiter lui-même :
Si, quod maritus supera non cernit loca,
Tutum esse facinus credis, et vacuum metu,
Erras...
Quid ille, lato maria qui regno premit,
Populisque reddit jura centenis pater ?
Latere tantum facinus occultum sinet ?...
Quid ille rebus lumen infundens suum
Matris parens ? quid ille, qui mundum quatit...
Sator Deorum ? Credis hoc posse effici,
Inter videntes omnia ut lateas avos ?
(Vers 145-158.)
[133] On trouve dans le Clitandre de Corneille quelques vers qui rappellent ceux-ci, et dont il n’est pas probable cependant que Racine ait eu aucun souvenir :
Mais tels sont les excès du malheur qui m’opprime
Qu’il ne m’est pas permis de jouir de mon crime ;
Dans l’état pitoyable où le sort nie réduit,
J’en mérite la peine, et n’en ai pas le fruit.
(Clitandre, acte II, scène VI, vers 553-556.)
[134] Il y a même, sans s, dans tontes les anciennes éditions.
[135] C’est la traduction de l’épithète qu’Homère donne aux Dieux.
[136] Dans Euripide a Nourrice parle à peu près de même à Phèdre, au moment où elle vient de recevoir sa confidence : « Ce qui t’arrive n’a rien qui soit hors de la loi commune, rien que de naturel : la colère d’une déesse s’est appesantie sur toi. Tu aimes : qu’y a-t-il là d’étonnant ? c’est le sort de beaucoup de mortels. Et ce serait à cause de cet amour que tu voudrais quitter la vie ?... Vénus est irrésistible, quand elle fond tout entière sur nous... On sait que Jupiter s’est épris de Sémélé, on sait que la brillante Aurore enleva un jour Céphale dans le séjour céleste... Et cependant ces divinités n’en habitent pas moins l’Olympe... Renonce à tant d’orgueil ; car c’est une orgueilleuse insolence, que de vouloir être plus fort que les Dieux. » (Vers 438-476.)
Dans l’Hippolyte de Gilbert (acte IV, scène I) c’est Thésée qui dit :
L’homme ne peut faillir en imitant les Dieux.
Le monarque du ciel n’a-t-il pas des maîtresses ?
[137] Dans l’impression de 1680, on lit :
Malheureuse ! voilà comment tu m’as perdue.
Ce changement est sans doute le fait de l’imprimeur.
[138] Aux conseils corrupteurs de la Nourrice, Phèdre, dans Euripide, répond : « C’est cela qui ruine les cités florissantes et les familles des mortels, ce sont les discours trop séduisants. » (Vers 487 et 488.)
Mais Racine a surtout imité les reproches que Phèdre, sur le point de se donner la mort, adresse à la Nourrice : Ô malheureuse ! fléau de tes amis ! où m’as-tu conduite ? Que Jupiter, auteur de ma race, t’écrase de sa foudre !... Puisses-tu périr et périssent comme toi tous ces amis zélés qui par de honteux conseils veulent vous servir malgré vous... Va-t’en, et ne songe plus qu’à toi-même : je saurai bien régler ma propre destinée. » (Vers 679-706.)
[139] Il y a Dieu, au singulier, dans les éditions de 1687 et de 1697. C’est évidemment une faute d’impression. L’édition de 1702 l’a reproduite.
[140] M. Aimé-Martin ajoute le nom d’Ismène à ceux des personnages de cette scène. Il dit que ce nom ne se trouve pas dans la première édition ; il n’est pas davantage dans les suivantes, de 1678 à 1697.
[141] Dans l’édition de 1698 (Amsterdam), l’imprimeur a substitué « souffrirez » à « souffriez. » Cette faute a passé dans l’édition de la Harpe.
[142] « On a remarqué que Racine était le seul des trois tragiques qui ont traité le sujet de Phèdre, chez qui la Nourrice soit punie. C’est une faute de mœurs dans Euripide et dans Sénèque, et que Racine ne pouvait pas commettre. On assure qu’il en a l’obligation à un Gilbert, qui avait fait une Phèdre où Œnone est aussi noyée. » (Note de l’édition de 1807.) – En effet, dans l’acte V, scène V, de l’Hippolyte de Gilbert, Pasithée répond à Thésée qui s’informe du sort d’Achrise :
Dans les flots de la mer elle a fini ses jours.
De son crime elle-même a payé le salaire.
Mais ce qui n’appartient qu’à Racine, c’est l’effet produit par cette nouvelle de la mort volontaire d’Œnone, annoncée à Thésée au moment où le doute entre dans son esprit.
[143] Ces vers semblent avoir été inspirés par la scène si pathétique de la Médée d’Euripide où Médée couvre ses enfants de baisers, puis les repousse loin d’elle. Voyez les vers 1039-1067 de Médée.
[144] Ici Racine s’est souvenu des vers 37 et 38 de l’Iphigénie d’Euripide, qui n’avaient pas trouvé place dans sa tragédie sur le même sujet.
[145] C’est aussi, dans Euripide, une des premières paroles du Messager (Vers 1152.)
[146] Var. Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes. (1677-87)
– Les, au lieu de ses, est le texte de 1698 (Amsterdam), de 1736 et, en général, des éditions modernes. – La circonstance que ce vers exprime est empruntée à l’Hippolyte de Sénèque (vers 1006) :
...Habenis lora permissis quatit.
[147] Quelques vers, dans le récit de l’Hippolyte de Garnier (acte V), rappellent un peu ceux de Racine, au moins pour le mouvement ; ceux-ci par exemple :
Elle bout, elle écume, et suit en mugissant
Le monstre qui se va sur le bord élançant.
Gilbert a ainsi rendu le même passage :
L’onde s’enfle ; on la voit largement écumer.
[148] ...Refluitque exterritus amnis.
(Énéide, livre VIII, vers 240.)
[149] Voici encore deux vers de Garnier, qui peuvent être ici l’objet d’une comparaison. L’hémistiche qui commence le premier de ces vers avait pu rester dans la mémoire de Racine :
La frayeur les maîtrise, et quoiqu’il s’évertue,
Il ne leur peut ôter cette crainte têtue.
[150] La bride ni sa voix ne leur sert plus de loi.
(Hippolyte de Gilbert, acte V, scène IV.)
[151] Var. À travers les rochers la peur les précipite. ( 1678-87)
– Cette leçon, antérieure à 1697, a été adoptée par la plupart des éditeurs modernes.
[152] Dans les rênes qu’il tient il s’engage en tombant.
(Hippolyte de Gilbert, acte V, scène IV.)
[153] Dans Euripide, Hippolyte, apporté mourant sur la scène, s’écrie : « Ô funeste attelage, cavales que ma main avait nourries, c’est vous qui m’avez perdu, qui m’avez tué. » (Vers 1346-1348.)
[154] Voici, dans le récit prolixe et ampoulé de Sénèque, les principaux passages qu’on peut rapprocher de quelques-uns des vers de Racine :
Consurgit ingens pontus in vastum aggerem,
Tumidunique monstro pelagus in terras ruit...
Cærulea taurus colla sublimis gerens,
Erexit altam fronte viridanti jubam.
Stant hispidæ aures ; cornibus varius color...
Tum pone tergus ultima in monstrum coit
Facies, et ingens bellua immensam trahit
Squamosa partem...
Tremuere terræ...
...Solus immunis metu,
Hippolytus aretis continet frenis equos,
Pavidosque notæ vocis hortatu ciet...
Inobsequentes protinus frenis equi
Rapuere currum ; jamque deerrantes via,
Quacumque rabidos pavidus evexit furor,
Hac ire pergunt, seque per scopulos agunt...
Præceps in ora fusus, implicuit cadens
Laqueo tenaci corpus ; et quanto magis
Pugnat, sequaces hoc magis nodos ligat...
Late cruentat arva, et illisum caput
Scopulis résultat : auferunt dumi comas ;
Et ora durus pulchra populatur lapis,
Peritque multo vulnere infelix décor.
(Vers 1015-1096.)
Sénèque avait fait des emprunts à Ovide, qui, dans le livre XV de ses Métamorphoses (vers 506 et suivants), a mis dans la bouche d’Hippolyte ressuscité un récit dont Racine lui-même s’est parfois inspiré :
Pittheam profugo curru Trœzena petebam ;
Jamque Corinthiaci carpebam littura ponti,
Quum mare surrexit, cumulusque immanis aquarum
In montis speciem curvari et crescere visus,
Et dare mugitus, summoque cacumine findi.
Corniger hinc taurus ruptis expellitur undis
Pectoribusque tenus molles erectus in auras,
Naribus et patulo partem maris evomit ore.
Corda pavent comitum, mihi mens interrita mansit,
Exiliis contenta suis : quum colla feroces
Ad freta convertunt, adrectisque auribus horrent
Quadrupedes ; monstrique metu turbantur, et altis
Præcipitant currus scopulis : ego ducere vana
Frena manu, spumis albentibus oblita, luctor...
Excutior curru, lorisque tenentibus artus,
Viscera viva trahi, nervos in stirpe teneri,
Membra rapt partim, partim reprensa relinqui,
Ossa gravem dare fracta sonum, fessamque videras
Exhalari animam, nullasque in corpore partes
Noscere quas passes : unumque erat omnia vulnus.
Le récit d’Euripide était le premier qui s’offrait à l’imitation de Racine ; on reconnaît sans peine qu’il y a plus d’une fois puisé directement, mais en le chargeant de plus d’ornements ; comme on le lui a reproché. Citons les vers de la tragédie grecque que ceux de notre poète rappellent plus ou moins : « Nous autres serviteurs, nous tenant à côté du char, près des rênes, nous suivions notre maître... Un bruit, semblable à un tonnerre souterrain de Jupiter, éclata avec un grand fracas, qu’on ne pouvait entendre sans frissonner. Les cavales levèrent la tête vers le ciel, et dressèrent les oreilles. Ne sachant d’où vient ce bruit, une grande terreur nous saisit. Alors nous jetons les yeux sur les côtes battues par les flots, et nous apercevons une vague immense qui touche la voûte des cieux. Elle s’enfle, vomit bruyamment une abondante écume ; et l’onde bouillonnante s’approche du rivage, à l’endroit où était alors le quadrige. Avec cette vague agitée, ce flot de tempête, la mer rejette un taureau, monstre sauvage, dont les mugissements remplissent toute la côte, qui lui répond avec un écho formidable. Sa vue est si terrible, qu’aucun regard ne peut la soutenir. Aussitôt les cavales sont saisies d’épouvante... Elles mordent le frein étincelant, et s’emportent, n’obéissant plus ni à la main qui les gouverne, ni aux rênes, ni au char auquel elles sont attelées... Tout n’est plus que confusion. Les rayons des roues et les chevilles de l’essieu se rompent. Le malheureux lui-même, embarrassé dans les rênes, est traîné dans ces liens inextricables ; sa tête se heurte contre les rochers ; ses chairs sont en lambeaux ; il pousse des cris douloureux... Quand il est dégagé des courroies, qui enfin se brisent, il tombe, je ne sais comment, et n’a plus qu’un souffle de vie. » (Vers 1185-1236.)
[155] Dans la scène III de l’acte V de l’Hippolyte de Bidar, le récit de la mort d’Hippolyte a quelques vers qui ont avec ceux-ci un rapport frappant :
Ce prince avec effort ouvre enfin la paupière,
Et tournant dessus moi la mourante lumière
Qui reste dans ses yeux...
Un peu plus bas les paroles mises dans la bouche du héros expirant se terminent avec une suspension de sens, comme dans Racine :
« L’adorable Cyane... » Un soupir tout de flamme
Lui fait à ce beau nom exhaler sa grande âme.
[156] Tuque semper, genitor, iræ facilis assensor meæ.
(Sénèque, Hippolyte, vers 1207.)
[157] ...Falsa memoravi ; et nefas,
Quod ipsa demens pectore insano hauseram,
Mentitau finxi. Vana punisti pater ;
Juvenisque castus crimine incesto jacet.
(Sénèque, Hippolyte, vers 1192-1195.)
[158] Achrise, Achrise seule a causé ces malheurs...
Ne pouvant le corrompre, elle osa l’accuser.
(Hippolyte de Gilbert, acte V, scène V.)
[159] Dans Sénèque, Phèdre, après s’être accusée elle-même, se frappe d’une épée :
...Hac manu pœnas tibi
Solvam, et nefando pectori ferrum inseram,
Animaque Phædram pariter ac scelere exuam.
(Vers 1176-1178.)